Vous êtes invité à
une exposition suivie d’un dîner où vous ne connaissez personne.
La corvée.
D’autant que votre
épouse vous rejoignant directement sur place, il vous faut vous présenter seul.
Une grande maison
bourgeoise pompeuse et comme boursouflée d’orgueil – voilà, vous y êtes. Efforcez-vous
de faire bonne figure. De sourire en bombant le torse.
Commencez par
confier votre manteau à un laquais.
Saluez tout le
monde.
Dites « Bonjour Monsieur » et vous voir
sèchement répliquer « Non, moi c’est
Madame ! »
Excusez-vous en
arguant être « mal réveillé »
(excuse malvenue en cette fin d’après-midi mais vous ne vous en rendez compte
qu’après coup).
Porté par le souci
de vous montrer affable, demandez à un homme aux traits lourds et aux yeux
cernés : « Et vous, vous
êtes qui ? »
L’homme réplique pince-sans-rire
qu’il n’est autre que le Maître de maison. Du coup, vous voir immédiatement
soupçonné d’être une sorte de pique-assiette qui aurait vu de la lumière ;
s’entendre bafouiller une explication alambiquée où le frère de la belle-sœur
d’une troisième personne dont vous ne vous souvenez plus le nom serait à
l’origine de votre invitation.
Après un
embarrassant moment de flottement, vous voir enfin disculpé par la tante du
neveu de la fameuse belle-sœur (ou quelqu’un d’approchant).
Croire percevoir
chez certains le regret de n’avoir pas le plaisir de vous expulser sans
ménagement (voire manu militari).
Donnez-vous une contenance
(du moins, essayez) ; prenez une coupe de champagne et votre verre à la
main, allez admirer les œuvres exposées dans une pièce aux murs blancs.
Affichez un air de
connaisseur et faites mine de vous extasier devant des trucs barbouillés
accrochés au mur.
- Magnifique.
- Vous plaisantez ? Ce sont des tableaux IKEA qu’on a
mis là pour meubler. L’exposition, c’est dans l’autre pièce !
Les toiles de
l’exposition sont pires encore. Trouvez plus prudent de vous abstenir de tout
commentaire.
.
Accueillir votre
épouse non sans soulagement – voilà au moins une personne qui ne devrait pas vous
être hostile (quoi que vos relations soient plutôt ombrageuses en ce moment).
Remarquer l’accueil autrement plus chaleureux réservé à votre compagne (une
très belle femme, tout le monde en a toujours convenu et cela, d’autant plus
qu’en ce qui vous concerne, vous n’avez jamais été qualifié de « très bel homme »).
Passer à table.
D’autorité, le
serveur vous fait endosser le rôle du volontaire pour goûter le vin.
Le trouver
excellent.
Mais une fois les
autres invités servis, les entendre tous se plaindre d’un méchant goût de
bouchon. Prétextez avoir été enrhumé récemment, ce qui a pu nuire à vos
capacités gustatives – mais personne ne vous écoute.
Au moment où sont apportées
les entrées, provoquer l’hilarité générale en confondant crabe et surimi.
Manger la tête
dans votre assiette et sans participer aux conversations. Pendant ce temps,
votre femme se fait outrageusement courtiser sous votre nez par un blanc-bec éméché.
Le blanc-bec
éméché a une longue mèche de cheveux qui lui tombe devant les yeux.
Songer aller
chercher une paire de ciseaux pour couper cette fichue mèche – mais ne pas oser
(ne pas oser non plus demander au blanc-bec éméché l’adresse de son coiffeur,
histoire de ne jamais risquer d’y mettre les pieds).
Le blanc-bec éméché
agit exactement comme si vous n’étiez pas là. Ou comme si vous étiez transparent.
Ce vous qui
devient vite insupportable.
Vous imaginer vous
lever et d’une voix forte devant l’assistance médusée, interpeler vertement le blanc-bec éméché
: « Monsieur, il suffit ! La
façon dont vous entreprenez mon épouse est une offense que je ne tolérerai pas
plus longtemps. J’attends vos témoins demain à l’aube. Vous me rendrez Justice ! »
Vous souvenir que
nous sommes en 2018. Et que les duels n’ont plus cours.
Ronger votre frein
en cogitant.
Vous imaginer vous
lever et d’une voix forte devant l’assistance médusée, interpeler vertement le blanc-bec
éméché : « Toi, tu sors dehors
tout de suite. Je vais te démolir, mon pote ! »
Vous souvenir que
le blanc-bec éméché, outre une carrure de décathlonien, vous dépasse d’une bonne
tête tandis que vous n’êtes vous-mêmes pas au mieux de votre forme (un peu
barbouillé, ces temps-ci).
Envisager d’autres
hypothèses.
(...)A suivre dans "CARNET DE ROUTE" / Année zéro
A paraître chez Bookless Editions
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