mardi 29 mars 2016

Tu verras (à toi qui viens juste d'avoir 20 ans)

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TU VERRAS


 Mon gars, félicitations ! Tu as vingt ans aujourd’hui.
 Tu vas voir et pour utiliser une de tes expressions, la vie c’est cool !
 C’est juste qu’il y a deux ou trois choses à savoir, deux ou trois caps un peu difficiles à franchir mais dès lors que tu es prévenu, tu sais à quoi t’attendre et tu verras, ça passera.
 Vingt ans, c’est l’âge où tu commences à prendre conscience d’une certaine réalité, des vraies choses de la vie. Tu vas vite t’apercevoir que l’existence ne se résume pas à convaincre ta copine que faire l’amour sans préservatif, c’est mieux – parce que tu es sûr de pouvoir te retirer avant ; et que ce n’est pas non plus te lever à midi et prendre ton petit déjeuner au lit en renversant du café noir sur les draps propres que ta mère vient de laver, tout ça en fumant ta clope sans savoir où tu vas mettre la cendre.
 Non, c’est pas seulement ça, tu vois. C’est aussi chercher du boulot et ne pas en trouver et te prendre la tête avec toutes les démarches que tu étais déjà censé avoir faites et que tu feras, c’est sûr mais pas forcément aujourd’hui ni demain. Quand tu auras le temps.
 C’est ça qu’ils ne comprennent pas, tes vieux ; à vingt ans, on n’a pas le temps de se pourrir avec des trucs administratifs, des lettres de démotivation ou d’autres bouffonneries du même genre ; non, à vingt ans on a trop la pêche, il faut que ça bouge avec la musique à fond, des meufs et les potes et tout ; il y a urgence - pas de temps à perdre avec la retraite ou la sécurité sociale.
 Evidemment, à vingt ans la vieillesse, la maladie et la mort n’ont aucun sens pour toi. Impossible de réaliser que les vieux aux gros bides et les mémés fripées ont eux aussi, il y a bien longtemps, été des jeunes gens beaux et fringants qui riaient et faisaient l’amour.
 Impossible de réaliser qu’un jour, ça t’arrivera à toi aussi.
 D’être vieux, fripé avec un gros bide.
 Parce que tu es invincible. Rien ne peut t’arriver. Ou alors rien que des belles choses – une star de cinéma qui tombe amoureuse de toi, malgré ton acné et les douze euros cinquante que tu as en poche pour lui offrir un verre et l’inviter au resto.
 Les coups durs, ça ne te concerne pas vraiment. Bien sûr, tu peux toujours t’enrhumer ou, sur un coup de pas de bol, crever un pneu de la voiture que tes parents t’ont acheté mais les vrais coups durs, ça ne te concerne pas. Parce que tu refuses, tout simplement. Et ce que tu as décidé, Dieu – ou qui que ce soit qui crèche là-haut, peu importe – Dieu doit en prendre acte. Point barre. C’est comme ça, c’est toi qui décides.
 Tu ne le sais pas encore mais tout ne va pas se passer exactement comme tu pensais que ça se passerait. Mais ça ne fait rien, tu vas t’accrocher à tes rêves de gosse et tu te persuaderas que pour toi, ce sera différent. Et tu auras beau te prendre le mur de la réalité en pleine gueule, tu continueras à creuser le sillon de mondes imaginaires où tu resteras le plus beau et le plus fort et tu feras le kakou au bout de la nuit et tu boiras des alcools forts jusqu’à rouler sous la table, tu te prendras des cuites monumentales qui te laisseront exsangue, allongé sur le carreau les bras en croix après avoir rendu tripes et boyaux. Ce sera là un des passages un peu difficiles dont je voulais te parler.
 Mais tu verras, je te l’ai dit. Ça passera.
 A vingt ans, on est toujours un peu arrogant, pas vrai ? Un peu ou beaucoup. La sève de la jeunesse ouvre un appétit gigantesque, l’envie féroce de croquer dans la pomme du monde pour n’en faire qu’une seule et monstrueuse bouchée. Et à vingt ans, je m’en souviens, on n’a pas de temps à perdre à écouter les fadaises de ceux qui sont passés avant. Les vieux, tu les zapperas ouvertement parce que du haut de tes vingt ans, tu te sentiras supérieur à eux comme au Monde entier. C’est l’arrogance de la jeunesse. Alors profites-en. A fond, à mille pour cent !

 Parce que tu verras. Ça aussi, ça passera.

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