Dix questions à Jacques FLAMENT
1-
Jacques, tu es l’un des rares éditeurs à oser publier des recueils de nouvelles.
En tant que lecteur, quel est le recueil de nouvelles qui t’a laissé le
souvenir le plus marquant ? (à part le mien évidemment - et en dehors des
autres auteurs JFE)
Question très difficile. Il y a beaucoup d’univers
d’écrivains totalement différents qui me passionnent. Tant dans les siècles
passés (Eekhoud, Lemonnier, Poe, Twain, Melville) que dans la période plus
contemporaine (Carver, Djian, Bukowski, Salinger, Fournel, Delerm, …). Mais
plutôt que de la nouvelle, je parlerai du texte court et dans ce domaine je
suis fan de deux auteurs particuliers : Jacques Sternberg, personnage
atypique à l’imagination débordante, et l’incontournable Christian Bobin, dont
les textes approchent la perfection. Un recueil : La part manquante, de Bobin justement, avec cette phrase en
exergue : « Ce n’est pas pour devenir écrivain qu’on écrit. C’est pour
rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour. » À méditer pour tous
les écrivains en devenir !
2- Laquelle de ces deux propositions correspond-t-elle le plus à ta
personnalité :
« Vivons heureux en attendant
la mort » (Pierre Desproges) ou « Vous n’avez aucune chance alors
saisissez-la » (Arthur Schopenhauer) ?
La deuxième me convient
parfaitement !
Les chants désespérés ne sont-ils
pas les chants les plus beaux ?
Et Dieu sait si la situation
actuelle se prête à l’aphorisme de Musset.
3- On parle volontiers des qualités requises pour devenir écrivain,
rarement de celles pour devenir éditeur. Quelles sont ces qualités selon toi ?
Pour en avoir côtoyé certains d’envergure et pour
pratiquer à présent l’activité quotidiennement à un niveau plus modeste, je
dirai qu’il faut faire une distinction entre les grands éditeurs et les petits
éditeurs, ce sont des métiers totalement différents, comme l’industrie et
l’artisanat peuvent l’être. Je ne parlerai que du petit éditeur puisque c’est
ainsi que je me définis. Les qualités principales, selon moi, sont : le
flair, l’envie, la persévérance, une solide carapace et une résistance à toute
épreuve, bref la capacité à pouvoir endosser le rôle d’homme-orchestre au
milieu des multiples tâches, pas toujours très gratifiantes. Etre éditeur est
un véritable sacerdoce, mais c’est toujours un petit miracle quand, de
centaines d’heures d’efforts, naît un objet qu’on appelle un livre. Quel que
soit son devenir et son succès !
4- Revenons aux manuscrits que tu reçois. Accordes-tu une importance aux
lettres qui accompagnent ces manuscrits ? (et si oui, à quelles
informations portes-tu intérêt ?)
Très peu. Ce qui m’importe, c’est de pouvoir recontacter
celui qui a enfanté le texte que je vais lire, s’il a réussi à m’emporter,
point ! Je ne suis pas là pour juger une lettre de motivation ou un CV. Il
faut par contre que l’auteur incite à pénétrer son manuscrit, les premiers mots
d’un roman ou d’une nouvelle doivent interpeller le lecteur, tout de
suite ! D’où l’importance de l’incipit.
Bref, pour employer une métaphore charcutière, un produit frais, appétissant,
au premier abord, mais peu importe l’emballage. Mais évidemment, il faut que
l’auteur tienne la distance. Beaucoup d’auteurs ont du talent dans les
starting-blocks mais se perdent très rapidement par un manque de travail, une
absence de plan, de repères.
5- Avoir un « CV » d’auteur – par exemple avoir déjà été publié
dans une autre maison ou collectionner les prix dans les concours de nouvelles
– est-ce un « plus » pour devenir auteur chez JFE ?
Evidemment, dans l’absolu, il serait intéressant d’avoir
une locomotive pour la maison d’éditions, qui permettrait plus de visibilité
auprès des lecteurs. Mais je suis réaliste, autant j’espère un jour découvrir
un auteur de talent qui puisse tirer son épingle du jeu dans la jungle
éditoriale, autant je sais qu’aucune pointure ne viendra de son propre chef chez
JFE. Je n’ai ni les moyens, ni la visibilité (présence dans les offices des librairies) pour
l’accueillir. Les lauréats des concours de nouvelles sont, quant à eux,
rarement des pointures, car la nouvelle (et le texte court en général) est un
genre mineur qui n’intéresse guère le grand public. Donc, ils sont les
bienvenus chez JFE.
6- Imagine : tu as été chercher le pain et de retour à la maison,
Pascale – ta compagne – t’attend sur la pas de la porte avec l’air tout excité
de quelqu’un qui vient d’apprendre une grande nouvelle : « Jacques,
tu ne devineras jamais ! » Une célébrité vient de lui téléphoner et
se dit prête à tout pour être publiée chez JFE – best-seller assuré !
Qui aimerais-tu que soit cette
célébrité ?
- le pape
- Johnny Hallyday
- Bernard-Henri Lévi
- une autre célébrité : laquelle ?
Aucun des trois premiers.
Puisque j’ai le choix, un nom me vient à l’esprit,
instantanément : AUNG SAN SUU KYI. Elle symbolise pour moi les vertus des
êtres d’exception : le courage, la résistance. Il émane de ce bout de
femme une espèce de luminosité, de pureté et de droiture qui m’impressionnent !
Cela dit, je ne suis pas sûr
qu’une telle femme et ces valeurs intéressent vraiment le grand public pour en
faire un best-seller. Un film est sorti sur elle récemment, et pas sûr qu’il
ait été un grand succès !
7- Dans une autre interview, j’ai lu que tu souhaites proposer « une réponse originale à des questions
contemporaines, inédites ou non ». Y a-t-il des sujets que tu aimerais
voir aborder à travers certaines de tes collections ?
Un sujet qui me tient à cœur est
celui du devenir du monde, dans tous les domaines, et j’aimerais développer une
collection, ou pourquoi pas (j’y travaille) un réseau social, qui développe et
argumente les utopies, les solutions pour un monde meilleur, plus éthique, plus
solidaire. Je me sens Citoyen du monde
et je pense que les solutions viendront par le mondialisme (à ne pas confondre
avec la mondialisation exclusivement mercantile) plutôt que par les replis
nationalistes et identitaires. Il y a tout un nouveau monde à inventer. Nous
sommes dans une impasse. Vaste programme, trop long à développer ici !
8- D’ailleurs as-tu des projets de nouvelles collections ? (et
lesquelles)
Oui, en effet. À partir de juin, une nouvelle collection
proposant des textes courts individuels (un livre, une nouvelle), à mi-chemin
entre la nouvelle et le roman, présentés sous forme de petits livres de
fiction d’une cinquantaine de pages format poche, à un prix très accessible
(moins de cinq euros). J’ai également un projet jeunesse avec un personnage
récurrent très original, bien réfléchi, et qui grandirait avec les lecteurs sur
la durée. Un vrai coup de cœur à la lecture. Reste à faire passer
l’enthousiasme aux lecteurs, ce n’est pas le plus simple dans un monde
éditorial tentaculaire (60 000 nouveaux titres par an, tous domaines
confondus). C’est à la fois réjouissant et décourageant !
9- A défaut du coup de fil d’une célébrité, quel est le manuscrit que tu
rêves de recevoir dans ton courrier demain matin ?
Celui d’un auteur qui avec
enthousiasme, clarté, pertinence et légitimité pourrait répondre en 500 pages à
la question cruciale de notre époque : « Comment va-t-on s’y prendre
pour sortir de ce merdier la tête haute ? »
10- Pour finir, y a-t-il une question que franchement, tu trouves que je
n’ai pas assuré de ne pas te l’avoir soumise !? (je ne voudrais pas que tu
m’en veuilles…)
Non. Mais il y en a d’autres que
franchement, je te remercie de ne pas m’avoir posées !
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Découvrez l'interview de Corinne POULAIN
fondatrice de Bookless-Editions (livres numériques)
C'est ici :
http://leblogderics.blogspot.fr/2014/11/interview-de-corinne-poulain-fondatrice.html
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