dimanche 22 janvier 2012

Interview Jacques FLAMENT

Dix questions à Jacques FLAMENT

1-      Jacques, tu es l’un des rares éditeurs à oser publier des recueils de nouvelles. En tant que lecteur, quel est le recueil de nouvelles qui t’a laissé le souvenir le plus marquant ? (à part le mien évidemment - et en dehors des autres auteurs JFE)
Question très difficile. Il y a beaucoup d’univers d’écrivains totalement différents qui me passionnent. Tant dans les siècles passés (Eekhoud, Lemonnier, Poe, Twain, Melville) que dans la période plus contemporaine (Carver, Djian, Bukowski, Salinger, Fournel, Delerm, …). Mais plutôt que de la nouvelle, je parlerai du texte court et dans ce domaine je suis fan de deux auteurs particuliers : Jacques Sternberg, personnage atypique à l’imagination débordante, et l’incontournable Christian Bobin, dont les textes approchent la perfection. Un recueil : La part manquante, de Bobin justement, avec cette phrase en exergue : « Ce n’est pas pour devenir écrivain qu’on écrit. C’est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour. » À méditer pour tous les écrivains en devenir !
2- Laquelle de ces deux propositions correspond-t-elle le plus à ta personnalité :
 « Vivons heureux en attendant la mort » (Pierre Desproges) ou « Vous n’avez aucune chance alors saisissez-la » (Arthur Schopenhauer) ?
La deuxième me convient parfaitement !
Les chants désespérés ne sont-ils pas les chants les plus beaux ?

Et Dieu sait si la situation actuelle se prête à l’aphorisme de Musset.

3- On parle volontiers des qualités requises pour devenir écrivain, rarement de celles pour devenir éditeur. Quelles sont ces qualités selon toi ?
Pour en avoir côtoyé certains d’envergure et pour pratiquer à présent l’activité quotidiennement à un niveau plus modeste, je dirai qu’il faut faire une distinction entre les grands éditeurs et les petits éditeurs, ce sont des métiers totalement différents, comme l’industrie et l’artisanat peuvent l’être. Je ne parlerai que du petit éditeur puisque c’est ainsi que je me définis. Les qualités principales, selon moi, sont : le flair, l’envie, la persévérance, une solide carapace et une résistance à toute épreuve, bref la capacité à pouvoir endosser le rôle d’homme-orchestre au milieu des multiples tâches, pas toujours très gratifiantes. Etre éditeur est un véritable sacerdoce, mais c’est toujours un petit miracle quand, de centaines d’heures d’efforts, naît un objet qu’on appelle un livre. Quel que soit son devenir et son succès !

4- Revenons aux manuscrits que tu reçois. Accordes-tu une importance aux lettres qui accompagnent ces manuscrits ? (et si oui, à quelles informations portes-tu intérêt ?)
Très peu. Ce qui m’importe, c’est de pouvoir recontacter celui qui a enfanté le texte que je vais lire, s’il a réussi à m’emporter, point ! Je ne suis pas là pour juger une lettre de motivation ou un CV. Il faut par contre que l’auteur incite à pénétrer son manuscrit, les premiers mots d’un roman ou d’une nouvelle doivent interpeller le lecteur, tout de suite ! D’où l’importance de l’incipit. Bref, pour employer une métaphore charcutière, un produit frais, appétissant, au premier abord, mais peu importe l’emballage. Mais évidemment, il faut que l’auteur tienne la distance. Beaucoup d’auteurs ont du talent dans les starting-blocks mais se perdent très rapidement par un manque de travail, une absence de plan, de repères.
5- Avoir un « CV » d’auteur – par exemple avoir déjà été publié dans une autre maison ou collectionner les prix dans les concours de nouvelles – est-ce un « plus » pour devenir auteur chez JFE ?
Evidemment, dans l’absolu, il serait intéressant d’avoir une locomotive pour la maison d’éditions, qui permettrait plus de visibilité auprès des lecteurs. Mais je suis réaliste, autant j’espère un jour découvrir un auteur de talent qui puisse tirer son épingle du jeu dans la jungle éditoriale, autant je sais qu’aucune pointure ne viendra de son propre chef chez JFE. Je n’ai ni les moyens, ni la visibilité (présence dans les offices des librairies) pour l’accueillir. Les lauréats des concours de nouvelles sont, quant à eux, rarement des pointures, car la nouvelle (et le texte court en général) est un genre mineur qui n’intéresse guère le grand public. Donc, ils sont les bienvenus chez JFE.
6- Imagine : tu as été chercher le pain et de retour à la maison, Pascale – ta compagne – t’attend sur la pas de la porte avec l’air tout excité de quelqu’un qui vient d’apprendre une grande nouvelle : « Jacques, tu ne devineras jamais ! » Une célébrité vient de lui téléphoner et se dit prête à tout pour être publiée chez JFE – best-seller assuré !
Qui aimerais-tu que soit cette célébrité ?

- le pape
- Johnny Hallyday
- Bernard-Henri Lévi
- une autre célébrité : laquelle ?
Aucun des trois premiers.
Puisque j’ai le choix, un nom me vient à l’esprit, instantanément : AUNG SAN SUU KYI. Elle symbolise pour moi les vertus des êtres d’exception : le courage, la résistance. Il émane de ce bout de femme une espèce de luminosité, de pureté et de droiture qui m’impressionnent !
Cela dit, je ne suis pas sûr qu’une telle femme et ces valeurs intéressent vraiment le grand public pour en faire un best-seller. Un film est sorti sur elle récemment, et pas sûr qu’il ait été un grand succès !
7- Dans une autre interview, j’ai lu que tu souhaites proposer « une réponse originale à des questions contemporaines, inédites ou non ». Y a-t-il des sujets que tu aimerais voir aborder à travers certaines de tes collections ?
Un sujet qui me tient à cœur est celui du devenir du monde, dans tous les domaines, et j’aimerais développer une collection, ou pourquoi pas (j’y travaille) un réseau social, qui développe et argumente les utopies, les solutions pour un monde meilleur, plus éthique, plus solidaire. Je me sens Citoyen du monde et je pense que les solutions viendront par le mondialisme (à ne pas confondre avec la mondialisation exclusivement mercantile) plutôt que par les replis nationalistes et identitaires. Il y a tout un nouveau monde à inventer. Nous sommes dans une impasse. Vaste programme, trop long à développer ici !
8- D’ailleurs as-tu des projets de nouvelles collections ? (et lesquelles)
Oui, en effet. À partir de juin, une nouvelle collection proposant des textes courts individuels (un livre, une nouvelle), à mi-chemin entre la nouvelle et le roman, présentés sous forme de petits livres de fiction d’une cinquantaine de pages format poche, à un prix très accessible (moins de cinq euros). J’ai également un projet jeunesse avec un personnage récurrent très original, bien réfléchi, et qui grandirait avec les lecteurs sur la durée. Un vrai coup de cœur à la lecture. Reste à faire passer l’enthousiasme aux lecteurs, ce n’est pas le plus simple dans un monde éditorial tentaculaire (60 000 nouveaux titres par an, tous domaines confondus). C’est à la fois réjouissant et décourageant !
9- A défaut du coup de fil d’une célébrité, quel est le manuscrit que tu rêves de recevoir dans ton courrier demain matin ?
Celui d’un auteur qui avec enthousiasme, clarté, pertinence et légitimité pourrait répondre en 500 pages à la question cruciale de notre époque : « Comment va-t-on s’y prendre pour sortir de ce merdier la tête haute ? »
10- Pour finir, y a-t-il une question que franchement, tu trouves que je n’ai pas assuré de ne pas te l’avoir soumise !? (je ne voudrais pas que tu m’en veuilles…)
Non. Mais il y en a d’autres que franchement, je te remercie de ne pas m’avoir posées !
Merci Jacques !

En interview "exclusive"

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