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samedi 22 décembre 2012

Souvenir des concours de nouvelles (article actualisé le 13 mars 2025)

Jeunes femmes prêtes à en découdre
Les concours de nouvelles ? Un combat


 Les concours de nouvelles, je vote pour à 100% !


 Sans être dupe sur leur impact car étant très peu voire pas du tout médiatisés, les concours de nouvelles sont aux auteurs anonymes ce que sont les prix littéraires pour les écrivains « reconnus » - autrement dit, les concours de nouvelles sont les prix littéraires du pauvre.
 N’empêche, ils réservent de bons moments.
 En ce qui me concerne, gagnant ou perdant, j’ai toujours eu à cœur de lire les textes lauréats.
 Je me souviens avoir découvert de véritables bijoux dont certains se sont gravés durablement dans ma mémoire. A l’inverse, je me suis parfois demandé s’il n’y avait pas eu une erreur (comme une inversion de bracelet entre deux bébés dans une maternité mais version concours littéraire) tant – parfois - certaines nouvelles primées me sont apparues ternes et sans saveur.
 En fait et avec un peu de recul, ce n’est pas si étonnant – car le principe est le même avec les livres publiés qui cartonnent : certains vous tombent littéralement des mains dès les premières lignes (et ne trouvent pas davantage grâce à vos yeux au fil des pages) alors que d’autres vous offrent d’excellents moments de lecture.
 C’est sans doute ce que l’on appelle « les goûts et les couleurs ». Ça ne se discute pas.
 Au rayon des anecdotes, je me souviens avoir gagné le concours ACLA de la nouvelle 2010. Le thème en était « L’armoire ». Il se trouve que j’avais un texte correspondant exactement au sujet. Je l’ai envoyé tel quel, sans aucune retouche. Et j’ai eu la (bonne) surprise de gagner le 1er prix (sur 170 nouvelles).

Vous pouvez la lire gratuitement en ligne ici :

 Du coup, j’ai eu à cœur de participer à l’édition suivante. Cette fois, je n’avais aucun texte « en réserve » par rapport au thème imposé (« Thé ou café »). J’ai donc planché spécifiquement pour ce concours et proposé le texte ci-dessous. Qui s’est fait recaler dès la première sélection.
 Moralité ?
 Je n’ai pas encore trouvé. Ça viendra.
 Ou pas.


LA VIEILLE DAME

 ET LES DEUX OUVRIERS


- La journée, je ne suis pas là. Je travaille. Mais ma mère reste chez elle. Je lui ai demandé qu’elle vous offre une collation vers quinze heures.

- Merci. Mais c’est pas obligé.

- On a l’habitude de se débrouiller.

- Mais si, j’y tiens ! Vous allez travailler dehors toute la journée et vu que l’on bat des records de chaleur en ce moment…

- Bon, d’accord.

- Merci, m’sieur.

- Et puis vous savez, ma mère ne voit pas grand-monde, ça lui fera plaisir. Par contre, ne vous formalisez pas. Elle est âgée et… heu, comment dire ? Elle a son caractère.

- Pas de problème.

- On fera attention.

- Merci, messieurs. Et bon chantier !


Premier jour


 Quinze heures. Un peu gauches, les deux hommes pénétrèrent dans le salon, véritable royaume d’objets en porcelaine, bibelots, photographies sous verre et autres souvenirs en tous genres.

- Thé ou café ? demanda la vieille dame.

 Tonio répondit le premier :

- Un café, je veux bien.

 Johnny hésita, réprima une quinte de toux gênée.

- Heu… non, merci. Je ne bois pas de ça.

 La vieille dame servit Tonio cérémonieusement.

 Ils burent en silence.

 Johnny regarda d’abord Tonio, puis ses mains, puis la vieille dame.

- Heu… faut pas vous inquiéter, M’dame. Elles sont propres, s’excusa-t-il en montrant ses mains encore incrustées de résidus de ciment. C’est juste pas parti au lavage.

 La vieille dame porta une nouvelle gorgée de thé à ses lèvres.

 Aucun autre mot ne fut échangé.

- Merci, Madame. Tu viens, Johnny ? On y va.

- J’arrive. Merci quand même M’dame. Bonne soirée.


Deuxième jour


- Thé ou café ?

- Un café, répondit Tonio.

 Johnny se racla la gorge.

- C’est-à-dire que… vous n’auriez pas plutôt une bière, M’dame ?

- Thé ou café ? répéta la vieille dame sur le même ton.

 Ses lèvres n’apparaissaient guère plus épaisses que des lames de rasoir et son chignon gris semblait plus austère que jamais.

 Johnny parut hésiter, regarda en direction de la fenêtre avant de se gratter la tête.

- Heu… non, merci. Rien alors.

 Silence seulement troublé par le glouglou de la cafetière.

- En tous cas, c’est vraiment gentil à vous de nous proposer une pause. Surtout quand il fait la canicule comme ça, pas vrai Tonio ?

- Oui.

- Ça fait une de ces soifs, vous pouvez même pas vous imaginer, M’dame !

 Pour tout commentaire, la vieille dame but une gorgée de thé.

- Enfin… un café, c’est aussi du liquide. Pas vrai, Tonio ?

- Ouais, sûr !

- Quand même, ça désaltère pas autant qu’une bière !

 Tonio haussa les épaules.


Troisième jour


- Thé ou café ?

 Comme d’habitude, Tonio opta pour le café. Johnny passa ses mains dans ses cheveux – qu’il avait longs et gras -, en un geste nerveux.

- Oui, enfin… non, merci. Je veux dire, vous n’auriez pas plutôt une boisson fraîche ? Il fait une de ces chaleurs ! Je sais pas, une bière, par exemple ?

 La vieille dame le dévisagea avec des yeux de poisson mort.

- Thé ou café ? finit-elle par dire.

- Bon…

 Il soupira.

- Non, ça fait rien. C’est pas grave.

 Johnny regarda la vieille dame verser le café de Tonio d’un air morose.

- Quand il fait chaud comme ça… je sais pas comment tu fais pour boire ça, Tonio.

 Tonio ne répondit pas.

 Rien d’autre ne fut échangé.


Quatrième jour


- Thé ou café ?

- Bon, écoutez si je peux me permettre, je veux pas vous obliger ni vous commander, hein ! Mais voilà, il se trouve qu’on n’a plus de glacière. Avant, on en avait une mais maintenant, on n’en a plus. Alors le matin, j’ai beau mettre un torchon mouillé autour de nos bouteilles, il n’y a rien à faire, à onze heures c’est tiède ! Et la bière tiède, voyez c’est pas ce qu’il y a de mieux. Pas vrai Tonio ?

- Moi, je veux bien un café.

- Oui. Bon, enfin tout ça pour dire que si on pouvait avoir je sais pas… une bière, une bière fraîche ou même un verre de blanc, moi ça m’irait.

 La vieille dame le considéra d’un œil sévère.

- Thé ou café ?

- D’accord, je comprends que vous n’avez peut-être pas eu le temps ou ce n’était pas dans vos intentions et puis les courses, faut penser, prévoir, tout ça mais… en tous cas, nous on avance bien, vous voulez venir voir le travail ?

 La vieille dame achevait de servir Tonio.

 À nouveau, elle se tourna vers Johnny.

- Thé ou café ?

 Le pied de Johnny battait nerveusement la mesure sur la moquette. Il répondit sans la regarder :

- Non, merci. Mais par rapport à ce que je vous ai dit… enfin, ce serait sympa, quoi !


Cinquième jour


- Thé ou café ?

- Un café, dit Tonio.

 Johnny gardait le silence. Il ressemblait à une chaudière prête à exploser.

- Thé ou café ? répéta sentencieusement la vieille dame à son intention.

- Une bière ! Ou du vin blanc, voilà ce que je veux ! De l’alcool ! Même de la goutte, un cognac, n’importe quoi !

- Te fâche pas, Johnny ! intervint Tonio.

- Mais j’en veux pas de son café ! J’aime pas le café, j’ai jamais aimé le café ! Et le thé, je t’en parle même pas ! Mais qu’est-ce qu’elle a à toujours vouloir nous fourguer son thé ou son café ?! De l’alcool, c’est ça dont j’ai envie, vous comprenez ou pas ? DE L’ALCOOL !

 Il y eut un court silence que la vieille dame finit par briser, imperturbable :

- Thé ou café ? reprit-elle pour la troisième fois.

- Mais c’est pas possible, vous n’avez pas branché votre sonotone ou quoi ?! Eh bien mettez-moi un café puisque vous n’êtes pas capable de dire autre chose !

- Si, coupa la vieille dame.

 Les deux hommes se regardèrent, interdits.

- Avec ou sans sucre, votre café ?


 J'ai publié "La vieille dame et les deux ouvriers" (avec d'autres textes) dans le recueil "TROIS STRATÉGIES POUR DEVENIR UN ÉCRIVAIN CÉLÈBRE" et sous le pseudo de Max HERTZL.




3 commentaires:

  1. on dirait du théâtre, pas un roman, ni une nouvelle mais du théâtre. Ceci dit, dans la première impression...

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    1. Oui, la finalité de ce concours de nouvelles était de "jouer" les textes retenus sur scène...

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  2. Le style "théâtral" aurait pu expliquer le rejet. A moins que ce ne soit le comique de répétition ? Ou la chute trop logique ?
    Ceci dit, bravo pour toute ta série sur la façon de concevoir des nouvelles. C'est très bien vu, très pédagogique et tes exemples proviennent des meilleurs !

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