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Un jour, le Chaos |
Un jour, quelqu'un frappera à ta porte et t'ordonnera de sortir, les mains sur la tête – un jour, ce sera le chaos.
Et voilà, ce jour est arrivé.
Tu ne comprends pas ce qui t'arrive. L'instant d'avant, tu étais en train d'écrire de la poésie sur ton écran d'ordinateur, avec ton casque sur les oreilles et un vieux tube des Pink Floyd pour t'inspirer ; à présent, un type masqué, en treillis et dont tu ne vois que les yeux, te met en joue avec sa kalachnikov.
- SORS !
Tu voudrais protester, au moins discuter, essayer de comprendre de quoi il retourne, mais l'intonation de l'homme en treillis ne laisse aucun espace, rien où s'accrocher. Alors tu t'exécutes, les mains sur la tête.
C'est un jour de soleil terne. De la luminosité et du ciel bleu, oui ; mais à peine quelques degrés Celsius. Chacune de tes expirations provoque un nuage de vapeur – qui se dissout aussitôt dans l’air froid. Tu n’as rien sur le dos, sinon un tee-shirt sans manches et tu frissonnes.
Te voilà sur le chemin goudronné qui longe ta maison.
D'autres hommes sont là. Tous masqués, sans visage. Et en armes. Tu sens la tension en eux ; une forme d’excitation, aussi.
Un peu plus loin, tu aperçois des corps étendus, sur le côté d'une maison - celle de tes voisins. Tes voisins avec qui, hier encore, tu discutais. Ensemble, vous vous inquiétiez de l'évolution de la situation, des discours enfiévrés sur les ondes, des flots de haine déversés sur les réseaux, appelant de manière explicite à la violence. Et maintenant, les corps sans vie de tes voisins, des sexagénaires aussi sympathiques qu’inoffensifs, sont étendus là-bas, à même le sol.
Non, tu ne peux pas nier ne pas l'avoir senti venir - cela faisait si longtemps que le chaos rôdait, si longtemps ! Sans doute eut-il fallu participer aux appels à la raison ; sans doute aurais-tu pu t'investir, tenter de t'opposer à la folie ambiante ; sans doute aurait-il fallu avoir le courage de taper du poing sur la table et dire NON !
Sans doute, oui. En sachant que tout cela n'aurait peut-être mené à rien, conduit nulle part.
Mais il aurait tout de même fallu essayer.
- Vas-y, t'attends quoi ?! BUTE-LE ! crie un autre homme en treillis au visage masqué à celui qui te tient en joue.
Ce dernier ne te quitte pas des yeux. Peut-être guette-t-il ta peur, l’envie de te voir te liquéfier devant lui ?
Tes jambes flageolent sous ton poids ; tu ne sais pas quoi faire, quoi dire – tenter de fuir, c’est la mort assurée.
- Tu as cinq secondes pour me donner une raison, UNE SEULE RAISON, de ne pas te tuer.
En cet instant, tu voudrais hurler, protester mais il est déjà trop tard - il faut parler, agir vite, sinon...
- Je n'ai jamais fait de mal à personne. Je suis quelqu'un de loyal, d'humaniste...
La rafale te cueille d'un coup.
Maintenant, tu es allongé par terre, sur le bitume froid. Tu sens la vie - ta vie - s'échapper à vitesse supersonique par tous les pores de ton corps meurtri ; les pensées se bousculent dans ta tête, comme affolées, prises de panique devant l'issue qui se profile et que rien, désormais, ne saurait empêcher. Les derniers mots qui sont sortis de ta bouche résonnent et s'impriment en boucle sur ton écran intérieur - ne faire de mal à personne. Loyal, humaniste.
Ce n'était pas la bonne réponse.