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TU VERRAS
Mon gars,
félicitations ! Tu as vingt ans aujourd’hui.
Tu vas voir et
pour utiliser une de tes expressions, la vie c’est cool !
C’est juste qu’il
y a deux ou trois choses à savoir, deux ou trois caps un peu difficiles à
franchir mais dès lors que tu es prévenu, tu sais à quoi t’attendre et tu
verras, ça passera.
Vingt ans, c’est
l’âge où tu commences à prendre conscience d’une certaine réalité, des vraies
choses de la vie. Tu vas vite t’apercevoir que l’existence ne se résume pas à
convaincre ta copine que faire l’amour sans préservatif, c’est mieux – parce
que tu es sûr de pouvoir te retirer avant ; et que ce n’est pas non
plus te lever à midi et prendre ton petit déjeuner au lit en renversant du café
noir sur les draps propres que ta mère vient de laver, tout ça en fumant ta
clope sans savoir où tu vas mettre la cendre.
Non, c’est pas
seulement ça, tu vois. C’est aussi chercher du boulot et ne pas en trouver et
te prendre la tête avec toutes les démarches
que tu étais déjà censé avoir faites et que tu feras, c’est sûr mais pas
forcément aujourd’hui ni demain. Quand
tu auras le temps.
C’est ça qu’ils ne
comprennent pas, tes vieux ; à vingt ans, on n’a pas le temps de se
pourrir avec des trucs administratifs, des lettres de démotivation ou d’autres
bouffonneries du même genre ; non, à vingt ans on a trop la pêche, il faut
que ça bouge avec la musique à fond, des meufs et les potes et tout ; il y
a urgence - pas de temps à perdre avec la retraite ou la sécurité sociale.
Evidemment, à
vingt ans la vieillesse, la maladie et la mort n’ont aucun sens pour toi.
Impossible de réaliser que les vieux aux gros bides et les mémés fripées ont
eux aussi, il y a bien longtemps, été des jeunes gens beaux et
fringants qui riaient et faisaient l’amour.
Impossible de
réaliser qu’un jour, ça t’arrivera à toi aussi.
D’être vieux,
fripé avec un gros bide.
Parce que tu es
invincible. Rien ne peut t’arriver. Ou alors rien que des belles choses – une
star de cinéma qui tombe amoureuse de toi, malgré ton acné et les douze euros
cinquante que tu as en poche pour lui offrir un verre et l’inviter au resto.
Les coups durs, ça
ne te concerne pas vraiment. Bien sûr, tu peux toujours t’enrhumer ou, sur un
coup de pas de bol, crever un pneu de la voiture que tes parents t’ont acheté
mais les vrais coups durs, ça ne te
concerne pas. Parce que tu refuses, tout simplement. Et ce que tu as décidé,
Dieu – ou qui que ce soit qui crèche là-haut, peu importe – Dieu doit en prendre
acte. Point barre. C’est comme ça, c’est toi qui décides.
Tu ne le sais pas
encore mais tout ne va pas se passer exactement
comme tu pensais que ça se passerait. Mais ça ne fait rien, tu vas t’accrocher
à tes rêves de gosse et tu te persuaderas que pour toi, ce sera différent.
Et tu auras beau te prendre le mur de la réalité en pleine gueule, tu
continueras à creuser le sillon de mondes imaginaires où tu resteras le plus
beau et le plus fort et tu feras le kakou au bout de la nuit et tu boiras des
alcools forts jusqu’à rouler sous la table, tu te prendras des cuites
monumentales qui te laisseront exsangue, allongé sur le carreau les bras en
croix après avoir rendu tripes et boyaux. Ce sera là un des passages un peu
difficiles dont je voulais te parler.
Mais tu verras, je
te l’ai dit. Ça passera.
A vingt ans, on
est toujours un peu arrogant, pas vrai ? Un peu ou beaucoup. La sève de la
jeunesse ouvre un appétit gigantesque, l’envie féroce de croquer dans la pomme
du monde pour n’en faire qu’une seule et monstrueuse bouchée. Et à vingt ans,
je m’en souviens, on n’a pas de temps à perdre à écouter les fadaises de ceux
qui sont passés avant. Les vieux, tu les zapperas ouvertement parce que du haut
de tes vingt ans, tu te sentiras supérieur à eux comme au Monde entier. C’est
l’arrogance de la jeunesse. Alors profites-en. A fond, à mille pour cent !
Parce que tu
verras. Ça aussi, ça passera.
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