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Les rêves d’Esthel (roman)
Extrait :
Dehors, dans la
nuit. Le clodo chancelle sur la chaussée humide, pitoyable dans son pardessus
délavé.
- Viens, dit Anthony.
L’autre le suit,
docile.
La voiture
d’Anthony, une tache blanche dans la rue sombre.
- Monte.
- On va où, camarade ?
- Tu verras. Je vais te montrer quelque chose.
Il n’en faut pas
plus au clodo que ce quelque chose.
Parce que quelque chose, c’est
toujours mieux que rien.
En voiture
Ils roulent.
Personne dans les rues. A cette heure, tout le monde dort. Tous les gens
normaux, ceux qui ont un toit. Une famille, un travail.
Peut-être même les
trois à la fois.
Le clodo marmonne
des bribes de chansons aux mélodies approximatives.
Ils s’éloignent de
la ville, pleine campagne. Le clodo devient silencieux.
- Hé mec, tu m’emmènes où ?! lâche-t-il soudain
méfiant, comme si la perte d’un décor familier de béton et d’asphalte lui
faisait recouvrer un brin de lucidité.
- Chez moi. T’inquiète, ce soir tu dormiras dans un lit.
Au chaud.
- T’as une maison ?
- Ouais.
- Et une femme ?
Anthony tique.
- Pourquoi tu me demandes ça ?
- Parce qu’elle sera peut-être pas trop contente de me
voir…
- Non. Je vis seul.
Anthony ralentit,
emprunte un chemin de terre. Il s’arrête en pleine forêt, au milieu de nulle
part. Sans les phares de la voiture, ils seraient dans l’obscurité totale.
- Mais on est où, là ?
Anthony coupe le
contact.
- Je te l’ai dit, je veux d’abord te montrer quelque
chose.
Il descend de
voiture, disparaît pour s’en aller fouiller dans le coffre arrière.
- C’est quoi, que tu veux me montrer ?
- C’est là. Viens voir.
- Là, où ?
- Viens, je te dis !
Le clodo hésite,
jure pour lui-même et finit par bouger ; sous ses pieds, un tapis de feuilles
mortes.
- T’es où ? Je te vois pas.
En dehors des feux
de la voiture, c’est partout l’obscurité. Un vent glacial siffle entre les
feuillages des arbres.
- Ici !
Le clodo se
retourne. Ce sera sa dernière vision ici-bas, l’ombre d’Anthony et de la pelle de
terrassier brandie au dessus de sa tête ; la seconde d’après, la pelle lui
fend le crâne en deux.
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