Puisque vous la souhaitiez, voici la
suite de la nouvelle inachevée « Atchoum ! »
(le n°60) – et donc le « 60 bis » créé spécialement pour vous
(ci-dessous l’histoire en entier).
Bonne lecture (et surtout bon
appétit !)
« Atchoum ! »
La journée, Monsieur Guérin travaillait
aux écritures. De longues et fastidieuses journées qui démarraient tôt et
finissaient à la nuit tombée, avec une brève coupure pour la pause-déjeuner.
Monsieur Guérin faisait comme les autres, il amenait sa gamelle et mangeait
froid (plus tard, le Front populaire améliorerait la condition des travailleurs
mais nous n’en étions pas encore là).Sitôt son labeur terminé, Monsieur Guérin
évitait de repasser par sa chambre mansardée, quartier Belleville. Il prenait
le chemin de la gargote où il avait ses habitudes, un établissement aux vitres
embuées par la fumée des cigarettes. On y servait un repas ouvrier copieux et
bon marché, quoi qu’un peu gras.
C’était un endroit sans manières où les
clients étaient priés de s’asseoir les uns à côté des autres, formant de
longues tablées comparables à celles d’une cantine de bas étage. La grosse
serveuse rougeaude déposait les litrons de rouge à volonté sur les tables. Elle
avait ses têtes et s’il lui arrivait de donner du rab, elle ne les octroyait
qu’à celles-là.
Sitôt installé, Monsieur Guérin avait
noué sa serviette autour de son cou. Il avait beau être maigre comme un clou,
il avait de l’appétit. Sans qu’aucun mot ne soit échangé, la rougeaude avait
déposé une assiette fumante de hachis Parmentier (fait avec les restes de la
semaine) devant lui et Monsieur Guérin s’apprêtait à goûter le seul véritable
plaisir de sa journée quand son voisin de droite, un lourdaud massif aux yeux
porcins, éternua en plein dans son assiette.
- Excusez-moi ! bredouilla l’autre
la goutte au nez.
Avant d’éternuer encore – et toujours en
plein dans l’assiette de Monsieur Guérin. Suite à quoi le lourdaud aux yeux
porcins éclata d’un rire luciférien.
Un instant, Monsieur Guérin demeura
interdit devant tant de grossièreté. Indigné, les mots lui manquaient.
- Vous pourriez faire attention !
finit-il par murmurer.
- Hé quoi, bonhomme ? Vous n’allez
pas me faire un procès pour quelques postillons. Et si vous n’en voulez plus,
j’ai encore faim moi ! ironisa le lourdaud en découvrant une rangée de
dents noires.
« Ainsi donc, le fait d’éternuer dans mon assiette n’était pas accidentel.
Non, cette vilénie relevait d’un stratagème. Quel ignoble
personnage ! » songea Monsieur Guérin.
Un autre que lui aurait immédiatement
demandé réparation. Mais étant de constitution fragile, Monsieur Guérin ne
faisait pas le poids face à la masse du lourdaud - il ne le savait que trop.
Alors que faire ? Ingurgiter cette
nourriture souillée comme si de rien n’était ? Se draper dans sa dignité,
sortir sans toucher à son assiette pour rentrer le ventre vide ? A peine commencée,
l’autre lui avait gâché sa soirée – sans que Monsieur Guérin ait pourtant rien
fait pour mériter cela. Cette injustice le révoltait intérieurement. Pourquoi
fallait-il toujours que chacun s’efforce de tirer la couverture à lui, au
mépris de l’intérêt des autres hommes ?
Monsieur Guérin en était là de ses
réflexions quand, manifestement frigorifié, un pauvre bougre aux airs de chien
battu prit place à côté de lui. Monsieur Guérin crut se souvenir l’avoir vu
mendier au coin d’une rue. Sans attendre, la rougeaude lui apporta à lui aussi
son assiette de hachis Parmentier (fait avec les restes de la semaine). Comme
le malheureux ne faisait pas partie des habitués, son assiette était un peu
moins copieuse.
Voyant cela, le timide Monsieur Guérin
se sentit pris d’une inspiration subite :
- Il semblerait que vous soyez moins
bien servi que nous, mon brave. Tenez, prenez mon assiette – je me contenterai
de la votre ! Vous avez davantage besoin que moi de reprendre des forces.
Et ce disant, il échangea d’autorité les
deux assiettes.
- Dieu vous bénisse, Monsieur !
rétorqua l’homme aux airs de chien battu.
Mais déjà, Monsieur Guérin ne l’écoutait
plus – bien trop occupé à faire honneur au hachis Parmentier (fait avec les
restes de la semaine).
Mendiant

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