Il n’était encore qu’un gosse quand il se l'était promis, juré.
Un
jour, il serait célèbre.
Parce
que s’il était célèbre, on s’intéresserait à lui.
Peut-être
même qu’on l’aimerait.
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Il se l'était promis, juré ! |
Ses parents n'en avaient pas le temps, ils se consacraient à leur carrière. Travaillaient dix-huit heures sur vingt-quatre et avaient d'autres chats à fouetter que de s'occuper de leur fils.
Même
pétri des meilleures intentions, il gênait.
-
Je peux t'aider à éplucher les pommes de terre, maman ?
-
Non. J’irai plus vite toute seule. Pousse-toi, ne reste pas dans mes pattes !
À
l’école, élève modérément doué au caractère introverti – et par conséquent,
assez peu populaire –, personne ne lui prêtait attention. Il avait le sentiment
d’être transparent au regard des autres.
Un
jour, en cours de dessin, il avait produit en un seul jet une sorte de
gribouillis coloré qui ne ressemblait à rien. Mais contre toute attente, sa
professeure, habituellement revêche et peu portée aux compliments, avait
apprécié :
-
Dis donc, mais ce n'est pas mal du tout ! Tu perçois l'harmonie des couleurs,
mon garçon.
Cette remarque d'apparence insignifiante avait décidé de son destin.
Il
serait artiste peintre.
Ses
parents ne le destinant qu’à une carrière d’analyste financier – à la rigueur,
d’avocat -, il coupa les ponts sans regret. Et s’échina à mener son projet à
bien, seul et sans appui, envers et contre tous.
Ce
furent dix puis vingt et enfin quarante années de galère,
ponctuées ici et là d’une multitude de micros emplois parmi les plus ingrats,
pour survivre. Des années de travail forcené et des milliers de toiles créées,
dont seule une poignée trouva preneur, à un prix dérisoire.
À
l'aube de la cinquantaine, il comprit qu'il ne serait jamais célèbre. Qu'il ne
serait jamais un artiste peintre célèbre.
Ce
fut une douloureuse prise de conscience. Il lui fallait emprunter une voie
différente, s’il voulait réaliser son rêve de gosse. Et le temps
pressait !
Il
n’entrevit qu'une solution.
Il allait commettre un attentat.
Un attentat à la bombe. Quelque chose de monstrueux, de terrible et de sanglant. À tel point que l'on en parlerait sur toutes les ondes.
Bien
sûr, sitôt après avoir commis son crime, il se dénoncerait. On le mettrait en
prison, où il serait l'objet de toutes les attentions. À travers lui, un mince
filet de lumière serait fait sur tous ceux qui ne demandent qu'un peu
d'attention, d'intérêt.
D'amour.
Peut-être même écrirait-on des livres sur lui, sur son acte. Des biographies ou des essais. Oui, c'était bien une bonne idée !
Confectionner son explosif s'avéra moins compliqué qu'il ne l'avait craint – on trouve de tout sur le darknet.
S'ensuivit une longue période de repérages.
Après moult tergiversations, il cibla la ville de P., une petite ville sans histoire, où les habitants de toute origine cohabitaient en bonne entente et où il faisait bon vivre.
Pour une fois - une fois dans sa vie ! -, tout se passa exactement comme il l'avait prévu : il n'y eut pas d'imprévu, aucun contre-temps.
Il
y vit un signe du destin.
L'explosion
de sa bombe artisanale, en plein centre-ville, provoqua des dizaines de morts
et des centaines de blessés ; sur toutes les ondes de France et de Navarre (et
bien au-delà), l'attentat fit la Une des chaînes d’information continue.
Le
crime fut qualifié "d'ignoble". Le président de la République
lui-même, plus solennel que jamais, jura de retrouver les coupables et de leur
infliger " un châtiment exemplaire ".
Avec
le sentiment d’avoir accompli sa mission, presque débonnaire, il se présenta au
commissariat le plus proche pour se dénoncer.
À
l’intérieur, c'était l'effervescence ; tout le monde semblait courir en
tous sens, dans un affolement général.
Il
aurait voulu pouvoir se dénoncer tout de suite – qu'on l'enferme et que tout
soit dit, mais il lui fallut commencer par prendre un ticket et attendre son
tour. Contrarié, il prit place sur une chaise. L’endroit aux effluves de sueur
et de renfermé s’avérait aussi peu inspirant qu’une salle d’attente de dentiste.
Vint
le moment où un fonctionnaire à l'air épuisé le reçut dans un bureau guère plus
grand qu’un cagibi.
Devant
le fonctionnaire éberlué, il avoua son méfait.
-
Chef, cet individu dit que c'est lui, le coupable de l’attentat de la ville de
P. On fait quoi ?
Le chef en question considéra l’homme qui voulait devenir célèbre d'un œil aussi suspicieux qu'incrédule « Quoi ?! » se dit-il en son for intérieur, « l’homme le plus recherché du pays serait ce benêt à l’allure de clochard ?! »
Anticipant
son heure de gloire, l’homme qui voulait devenir célèbre crut bon de
confirmer :
-
Oui, c'est bien moi qui ai commis cet attentat ! affirma-t-il, non sans
une certaine fierté matinée de suffisance.
- Et moi, je suis la Reine d'Angleterre ! lui rétorqua vertement le gradé, après un dernier instant d'hésitation.
- Mais je vous assure...
- FOUTEZ-MOI ÇA DEHORS ! On
n'a pas de temps à perdre avec des affabulateurs !
L’homme qui voulait devenir célèbre se vit littéralement éjecté du commissariat, dans la nuit noire battue par la pluie.
Après un moment d'hébétude, il comprit qu’il ne lui restait plus qu’une chose à faire : rentrer chez lui, dans ce minuscule studio qu'il avait pourtant bien cru ne jamais revoir. Heureusement qu’il avait gardé la clef !
Avec un peu de chance, peut-être trouverait-il un fond de paquet de nouilles et un restant de pain sec, vieux de trois jours dans ses placards.
L’homme
qui voulait devenir célèbre se remit en route en se répétant qu’après s’être
donné tout ce mal, le sort s’avérait décidément bien injuste.
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