- Prenez place, je vous prie ! dit le notaire.
Face à lui, deux femmes et un homme dans la
quarantaine, visages fermés.
- Bien. Je vous ai
réunis pour vous faire part des dernières volontés de votre père, concernant sa
succession.
- Papa a fait un
testament ? demanda l’une des femmes, une blonde platine aux lèvres
botoxées.
- En effet. Il
souhaitait que je porte à votre connaissance un aspect de sa personnalité qui,
selon lui, vous avait échappé.
- Lequel ?
- Votre père
écrivait de la poésie.
Tous se regardèrent, incrédules.
- Quoi ?
s’écria l’homme.
Bedonnant, il avait les tempes argentées et la
lippe humide.
- Papa écrivait de
la poésie ? J’ai du mal à y croire.
- Il n’y a jamais
eu que l’argent qui l’intéresse !
- Si vous
permettez, je vais poursuivre, reprit le notaire.
Ce disant, il s’éclaircit la voix.
- Votre père avait
écrit un recueil de poèmes. Un recueil qu’il avait proposé pour publication à
nombre d’éditeurs.
Comme pour insuffler une sorte de suspens, il
marqua une pause, prenant le temps de dévisager chacun des ayants droit.
Tous restaient de marbre.
- Malheureusement,
il n’avait reçu que des réponses négatives. Ce qui, d’ailleurs, l’avait
sensiblement affecté.
- Il n’avait qu’à
acheter directement une maison d’édition, s’il voulait tant se faire publier !
- Figurez-vous
qu’il y avait songé.
- Sans blague ?
- Sérieusement ?!
- C’est une
hypothèse qu’il a envisagée un certain temps. Mais il a fini par y renoncer.
- Ce n’était pas
une question de moyens. Alors pourquoi ?
- Il estimait que
cela n’aurait pas été correct.
- Pas correct ?
Mais vis-à-vis de qui ?
- C’est bien la
première fois qu’il se sera soucié de ce qui est correct ou pas !
- Il a préféré renoncer,
par honnêteté vis-à-vis des poètes qui essaient de se faire publier sans
passe-droit.
- Bon et alors ?
- Moi, je ne vois
pas où ça nous mène, tout ça.
- J’y viens. Votre
père a finalement pris la décision d’auto-publier son œuvre.
Un peu comme s’il s’apprêtait à franchir un
obstacle, le notaire prit une courte inspiration.
- Concernant ses
biens, qu’il s’agisse de ses liquidités, ses actions et ses propriétés
immobilières, ses collections de tableaux et d’œuvres d’art, votre père a
décidé de tout léguer à des associations caritatives. Cependant, il a tenu à
vous offrir, à chacun, un exemplaire de son unique recueil de poèmes. Recueil auto-publié,
comme je vous l’ai dit.
Et tandis que face à lui, les figures se
décomposaient, le notaire ajouta :
- Votre père
souhaitait en souligner le titre : « La poésie est notre seule
véritable richesse ». Ce qui explique pourquoi il tenait tant à vous offrir
son recueil.
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