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mardi 2 septembre 2025

Nouvelle inédite "DEMAIN, J'ARRÊTE D'ÉCRIRE"

 

Nouvelle inédite
Demain, j'arrête d'écrire

 Le mail était arrivé peu avant vingt heures.

 Maximilien venait de monter dans sa chambre, prendre ses cigarettes ; il s’en autorisait une à l’heure de l’apéritif et s’apprêtait à rejoindre ses amis sur la terrasse, ceux-là avec qui il louait cette grande maison de vacances en bord de mer.

 Le mail émanait de son éditeur. Qui lui envoyait les chiffres de vente de son dernier livre. Le cœur battant, Maximilien ouvrit la pièce jointe.

 Sa déception fut à la hauteur de ses attentes. Non, ce n’était pas encore demain que ses droits d’auteur allaient lui permettre d’acheter une villa avec piscine.

 Malgré lui, il accusa le choc.

 Il lui fallut s’asseoir sur le bord de son lit, prendre un temps pour digérer, récupérer de sa déception, les yeux dans le vide.

 Il avait pourtant trimé comme un damné pour écrire son dernier livre et il était persuadé d’avoir écrit un excellent, peut-être même un GRAND roman.

 Et pour quel résultat ?

 Rien ou presque.

 Une poignée de lecteurs. Des nèfles.

 Il n’allait pas pouvoir continuer comme ça, non.

 Le regard noir, il se décida enfin à rejoindre ses amis.

 

 Ils étaient tous là, réunis autour de la table, avec cette vue magnifique sur la mer d’Iroise.

- Alors, qu’est-ce que tu faisais ?

- On n’a pas réussi à t’attendre, on a pris un peu d’avance.

- Ça n’a pas l’air d’aller, dis donc ?

- J’ai pris une décision. J’arrête d’écrire.

- Pardon ?

 D’un coup, le silence se fit.

- J’arrête d’écrire, je jette l’éponge. J’ai eu mes chiffres de vente et franchement, ils ne sont pas à la hauteur de mes espérances. Ni de mon investissement. Je vais avoir quarante ans et j’en ai assez de passer des heures devant un écran pour des romans qui se vendent si peu.

 Maximilien prit place autour de la table et se saisit d’un verre.

- Quelqu’un peut me servir ? J’ai bien l’intention de fêter ça !

 Il avait un pli amer au coin des lèvres, un sourire forcé.

- Tu veux quoi ?

- Du rosé, ça m’ira très bien.

- En tous cas, tu n’as pas l’air de mal le prendre.

- Je ne suis pas du genre à me laisser abattre, confirma Maximilien.

 La conversation peinait à se relancer.

 Tous restaient sous l’effet de l’annonce de leur ami.

 Malika fut la première à exprimer son ressenti :

- Maintenant que tu as tourné la page, on peut te le dire : tu étais vraiment pénible avec tes projets d’écriture !

- Comment ça ?

- Oui, on en discutait entre nous et on se disait que ça te montait à la tête.

- Tu ne pensais qu’à ça !

- Quand on te parlait, on avait toujours l’impression que tu étais ailleurs. Comme si tu étais en train d’écrire ton prochain roman dans ta tête.

- On voyait bien que tu rêvais d’écrire un best-seller. Mais tu sais, il n’y a pas de secret : sans piston, pas de succès de librairie.

 Maximilien encaissa sans broncher, au moins en apparence.

 Mais en son for intérieur, il était comme un boxeur acculé dans un coin du ring et saoulé de coup, au bord du KO. Il guettait le gong, la délivrance.

- J’étais si pénible que ça ?!

- Oh, que oui !

- On te le confirme.

- Pire encore !

- D’accord, je note.

 Il éprouva le besoin d’une cigarette. Il était monté les chercher dans sa chambre, mais ne les avait pas ramenées, trop tourneboulé par la faiblesse de ses chiffres de vente.

 Il se leva.

- Je vais chercher mes clopes.

- Je t’en donne une, si tu veux ?

- Non, je préfère les miennes.

- Mais ce sont les mêmes…

 Maximilien ne répondit pas, il était déjà dans l’escalier. En réalité, il avait surtout besoin de s’isoler quelques instants ; se poser, retrouver ses esprits.

 Qu’est-ce qui s’était passé ?!

 Un séisme, un ouragan ?

 

 Il y a moins d’une heure, il s’y voyait encore, grand écrivain en devenir : MAXIMILIEIN H, en lettres capitales dans tous les grands titres des journaux - la révélation littéraire de l’année – un style inimitable, un roman à couper le souffle…

 

 En moins d’une heure, tout avait été balayé, remisé au placard. Presque comme si rien n’avait jamais existé, sinon dans un recoin enfiévré de son imagination.

 Non, ce n’était pas possible. Tout n’allait pas pouvoir s’arrêter ainsi, de manière si abrupte, si décevante !

 Maximilien récupéra ses cigarettes dans sa chambre, hésita à s’en allumer une.

 Il avait juste eu un coup de mou, un coup de moins bien, mais n’avait jamais réellement voulu arrêter d’écrire.

 Il avait dit « J’arrête » comme on donne un coup de poing dans une porte, juste pour évacuer sa colère, ses frustrations.

 Comment ses amis – ses amis qui le connaissaient par cœur, mieux que personne ! – comment ses amis avaient-ils pu croire un quart de seconde qu’il pourrait tout arrêter ?!

 

 D’un coup, l’illumination lui vint et il comprit : bien sûr que non, ils n’y avaient pas cru ! Ils savaient très bien, tous et toutes, qu’il était un écrivain dans l’âme, que jamais il n’arrêterait d’écrire. D’ailleurs, la plupart d’entre eux faisaient partie de ses plus grands fans et lisaient tous ses livres.

 Ils l’avaient fait marcher et lui avait couru !

 Quel imbécile, il faisait.

 

 Il descendit les retrouver, le sourire aux lèvres.

 

 Les discussions avaient repris, sur de tous autres sujets.

- Vous m’avez bien fait marcher ! dit-il à la cantonade.

- De quoi tu parles ?

- De notre discussion, juste avant. Quand j’ai dit que j’arrêtais d’écrire. Je ne le pensais pas, je plaisantais. Et vous aussi, vous plaisantiez quand vous me disiez que c’était la meilleure décision à prendre, que j’avais été suffisamment pénible, non !?

 Un silence gêné s’ensuivit.

- Heu… non. Nous, on ne plaisantait pas.



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