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Demain, j'arrête d'écrire |
Le mail était arrivé peu avant vingt heures.
Maximilien venait de monter dans sa chambre,
prendre ses cigarettes ; il s’en autorisait une à l’heure de l’apéritif et
s’apprêtait à rejoindre ses amis sur la terrasse, ceux-là avec qui il louait
cette grande maison de vacances en bord de mer.
Le mail émanait de son éditeur. Qui lui envoyait les chiffres de vente de son dernier livre. Le cœur battant, Maximilien ouvrit la pièce jointe.
Sa déception fut à la hauteur de ses attentes.
Non, ce n’était pas encore demain que ses droits d’auteur allaient lui
permettre d’acheter une villa avec piscine.
Malgré lui, il accusa le choc.
Il lui fallut s’asseoir sur le bord de son
lit, prendre un temps pour digérer, récupérer de sa déception, les yeux dans le
vide.
Il avait pourtant trimé comme un damné pour
écrire son dernier livre et il était persuadé d’avoir écrit un excellent, peut-être
même un GRAND roman.
Et pour quel résultat ?
Rien ou presque.
Une poignée de lecteurs. Des nèfles.
Il n’allait pas pouvoir continuer comme ça,
non.
Le regard noir, il se décida enfin à rejoindre
ses amis.
Ils étaient tous là, réunis autour de la
table, avec cette vue magnifique sur la mer d’Iroise.
- Alors, qu’est-ce que tu
faisais ?
- On n’a pas réussi à
t’attendre, on a pris un peu d’avance.
- Ça n’a pas l’air d’aller,
dis donc ?
- J’ai pris une décision. J’arrête
d’écrire.
- Pardon ?
D’un coup, le silence se fit.
- J’arrête d’écrire, je
jette l’éponge. J’ai eu mes chiffres de vente et franchement, ils ne sont pas à
la hauteur de mes espérances. Ni de mon investissement. Je vais avoir quarante
ans et j’en ai assez de passer des heures devant un écran pour des romans qui
se vendent si peu.
Maximilien prit place autour de la table et se
saisit d’un verre.
- Quelqu’un peut me
servir ? J’ai bien l’intention de fêter ça !
Il avait un pli amer au coin des lèvres, un
sourire forcé.
- Tu veux quoi ?
- Du rosé, ça m’ira très
bien.
- En tous cas, tu n’as pas
l’air de mal le prendre.
- Je ne suis pas du genre à
me laisser abattre, confirma Maximilien.
La conversation peinait à se relancer.
Tous restaient sous l’effet de l’annonce de leur
ami.
Malika fut la première à exprimer son
ressenti :
- Maintenant que tu as
tourné la page, on peut te le dire : tu étais vraiment pénible avec tes
projets d’écriture !
- Comment ça ?
- Oui, on en discutait entre
nous et on se disait que ça te montait à la tête.
- Tu ne pensais qu’à ça !
- Quand on te parlait, on
avait toujours l’impression que tu étais ailleurs. Comme si tu étais en train
d’écrire ton prochain roman dans ta tête.
- On voyait bien que tu
rêvais d’écrire un best-seller. Mais tu sais, il n’y a pas de
secret : sans piston, pas de succès de librairie.
Maximilien encaissa sans broncher, au moins en
apparence.
Mais en son for intérieur, il était comme un
boxeur acculé dans un coin du ring et saoulé de coup, au bord du KO. Il
guettait le gong, la délivrance.
- J’étais si pénible que
ça ?!
- Oh, que oui !
- On te le confirme.
- Pire encore !
- D’accord, je note.
Il éprouva le besoin d’une cigarette. Il était
monté les chercher dans sa chambre, mais ne les avait pas ramenées, trop
tourneboulé par la faiblesse de ses chiffres de vente.
Il se leva.
- Je vais chercher mes
clopes.
- Je t’en donne une, si tu
veux ?
- Non, je préfère les miennes.
- Mais ce sont les mêmes…
Maximilien ne répondit pas, il était déjà dans
l’escalier. En réalité, il avait surtout besoin de s’isoler quelques instants ;
se poser, retrouver ses esprits.
Qu’est-ce qui s’était passé ?!
Un séisme, un ouragan ?
Il y a moins d’une heure, il s’y voyait encore,
grand écrivain en devenir : MAXIMILIEIN H, en lettres capitales dans
tous les grands titres des journaux - la révélation littéraire de l’année – un
style inimitable, un roman à couper le souffle…
En moins d’une heure, tout avait été balayé,
remisé au placard. Presque comme si rien n’avait jamais existé, sinon dans un
recoin enfiévré de son imagination.
Non, ce n’était pas possible. Tout n’allait
pas pouvoir s’arrêter ainsi, de manière si abrupte, si décevante !
Maximilien récupéra ses cigarettes dans sa
chambre, hésita à s’en allumer une.
Il avait juste eu un coup de mou, un coup de
moins bien, mais n’avait jamais réellement voulu arrêter d’écrire.
Il avait dit « J’arrête » comme
on donne un coup de poing dans une porte, juste pour évacuer sa colère, ses
frustrations.
Comment ses amis – ses amis qui le
connaissaient par cœur, mieux que personne ! – comment ses amis avaient-ils
pu croire un quart de seconde qu’il pourrait tout arrêter ?!
D’un coup, l’illumination lui vint et il
comprit : bien sûr que non, ils n’y avaient pas cru ! Ils savaient
très bien, tous et toutes, qu’il était un écrivain dans l’âme, que jamais il
n’arrêterait d’écrire. D’ailleurs, la plupart d’entre eux faisaient partie de
ses plus grands fans et lisaient tous ses livres.
Ils l’avaient fait marcher et lui avait
couru !
Quel imbécile, il faisait.
Il descendit les retrouver, le sourire aux
lèvres.
Les discussions avaient repris, sur de tous
autres sujets.
- Vous m’avez bien fait
marcher ! dit-il à la cantonade.
- De quoi tu parles ?
- De notre discussion, juste
avant. Quand j’ai dit que j’arrêtais d’écrire. Je ne le pensais pas, je
plaisantais. Et vous aussi, vous plaisantiez quand vous me disiez que c’était
la meilleure décision à prendre, que j’avais été suffisamment pénible, non !?
Un silence gêné s’ensuivit.
- Heu… non. Nous, on ne
plaisantait pas.
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