Changement de couverture pour cette nouvelle :
Extrait :
I
Sitôt que je l’ai
vu, je l’ai reconnu. Et tout m’est revenu en mémoire, instantanément. Ça
faisait pourtant un sacré bout de temps.
Saint-Gilles-Croix-de-Vie,
quelque part dans les quatre-vingt-treize.
Je devais avoir treize ans.
- Asseyez-vous, Monsieur Saintes ! qu’il m’a dit.
- Heu… oui, merci.
« Profil
bas. » Je me le suis dit et répété, encore et encore. Parce que sur
ce coup, je n’étais pas en position de force.
Loin de là.
- J’ai pris connaissance de votre lettre de doléance.
- Ah ? Heu… très bien, j’ai fait dans le genre
faux-cul instinctivement soumis.
En réalité, en
cet instant je ne pensais qu’à une chose : qu’il ne me reconnaisse pas.
« Bon Dieu, je ne vous ai jamais rien demandé mais s’il vous plaît, faites qu’il ne me reconnaisse pas ! »
II
Tout s’était passé
il y avait tellement longtemps. À l’époque, mes parents tenaient un bar. Du
matin au soir, leurs vies s’inscrivaient derrière le comptoir de zinc, à servir
des bières à la pression et des blancs cassis. Mon père n’était pas un rigolo
de kermesse. Il n’y avait que le tiroir-caisse qui comptait.
Sous le comptoir, il avait un nerf de bœuf à portée de main. Je l’avais déjà vu s’en servir, un soir face à un type alcoolisé, un ancien rugbyman. Le type était rentré au bar sur ses deux jambes. Il en était ressorti allongé sur une civière, en ambulance. Ma mère était faite du même bois. Mais en plus dure. Je ne me souviens pas qu’elle m’ait jamais embrassé. Ou peut-être une fois, à Noël.
Cet été-là, ils m’avaient
inscrit d’autorité en colonie de vacances. En clair et sous prétexte que les
voyages forment la jeunesse, salut tchao gamin. Casse-toi et bon vent !
Laisser mes potes,
ma nouvelle copine – ça ne faisait pas si longtemps que j’étais dépucelé -, sur
le moment, j’avais eu la haine. Mais si je suis honnête, quoi qu’ils aient dit
ou fait, j’avais la haine à cette époque. Même si je ne savais pas pourquoi.
C’était comme ça et c’était tout.
Le jour venu, mes
vieux m’avaient juste gratifié d’un ticket de métro et d’une tape dans le dos.
Peut-être aussi qu’ils en avaient marre de mes conneries. Je venais d’être
renvoyé du collège pour brutalité sur un autre élève. Je lui avais cassé deux
dents. Il avait eu de la chance, mes potes m’avaient retenu. Sinon, la facture
aurait été plus lourde.
- Il y a du monde, on n’a pas le temps de t’accompagner à
la gare.
- De toutes façons, tu es suffisamment autonome pour y
aller tout seul.
- Tu nous enverras une carte postale.
Ils pouvaient
toujours compter là-dessus !
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