LES DÉS
SONT PIPÉS !
Est-ce vraiment les lecteurs (lectrices) qui CHOISISSENT d’acheter un best-seller - ou son achat s’impose-t-il à eux (à elles) ?
Il ne me semble pas illégitime de se poser la question.
La plupart des best-sellers sont
taillés à l’équivalent des « blockbusters » de cinéma ; ces
livres bénéficient d’un ÉNORME budget promotionnel - objectif vendre en
masse pour générer des profits dans les mêmes proportions.
Autrement dit, ce sont des produits parfaitement marketés, auxquels – dès lors que l’on s’intéresse à l’univers des livres -, il est difficile de résister.
Arrêtons-nous quelques instants sur les
leviers qui poussent un acheteur potentiel à choisir un livre plutôt qu’un
autre.
On trouvera en bonne position la SÉCURITÉ et LE CONFORT.
L’acheteur potentiel (ou l’acheteuse) a besoin d’être rassuré et sécurisé sur son achat ; comment savoir s’il fait le bon choix ?
Les éditeurs des best-sellers, en
spécialistes de la vente qu’ils sont, vont répondre à cette préoccupation.
Pour ce faire, ils affublent (bombardent) leurs livres de ces qualificatifs dithyrambiques que l’on retrouve année après année – chef d’œuvre, roman phénomène, livre à couper le souffle, best-seller à travers le monde… - sachant que l’argument le plus absolu et définitif, souvent affiché grosses lettres sur la couverture, reste celui-ci :
Plus de X… millions de lecteurs
Autrement dit, le fait qu’autant de personnes aient acheté ce livre signifie qu’il s’agit FORCÉMENT d’un bon livre (sous-entendu : vous pouvez l’acheter les yeux fermés, ce ne sera pas un investissement à perte, vous en aurez pour votre argent).
Quant au CONFORT, quoi de plus facile
qu’acheter un best-seller ? On les retrouve absolument partout !
Dans les librairies bien sûr, où ils sont mis en évidence sur des présentoirs destinés à cet effet ; mais aussi en tête de gondole des grandes surfaces, dans les points Relay des gares SNCF, les boutiques des autoroutes et jusque sur les rayonnages des supermarchés de quartier.
Les plateformes de vente en ligne ne sont pas
en reste.
Elles aussi, avec leur système de « meilleures
ventes », ne cessent de mettre en avant les best-sellers du
moment en s’inscrivant dans le même mouvement.
Car oui, pour vendre un livre, il faut
s’attacher à lui donner une visibilité maximum et sur ce plan, les éditeurs de best-sellers
savent faire.
Des affiches promotionnelles dans les couloirs du métro aux flancs des autobus, en passant par les tournées de leurs auteurs dans les librairies de province et les billets de rédacteur en chef d’un jour dans la presse régionale, les best-sellers sont partout.
Leurs éditeurs sortent l’artillerie lourde,
une logique qui les amène à imprimer un nombre de livres souvent supérieur aux
ventes finales.
Et qu’importe si des dizaines de milliers d’ouvrages finissent leur (brève) existence au pilon, sans même avoir été feuilletés. Les ventes réalisées auront assuré l’essentiel.
L’immense majorité des best-sellers sont les fruits d’une poignée de maisons d’édition qui, de fait et sans en avoir l’air, « imposent » leurs livres et confisquent une grande partie du lectorat.
C’est la loi du marché me direz-vous.
Oui, c’est vrai.
Mais nous ne sommes pas en train de parler d’un marché comme un autre. Il n’est pas ici question de boites de petits pois ou de fromage blanc mais de Littérature.
Pour schématiser, nous avons :
☛ d’un côté, les grandes maisons – les grands groupes d’édition –
qui composent l’industrie du livre, avec des tirages par centaines de milliers
(millions ?) et des actions de promotion proportionnées, c’est à dire
colossales, à la limite de l’invasif ;
☛ de l’autre les petits, les micro-éditeurs et les auteurs autopubliés qui eux, relèvent de l’artisanat.
Il est plus que souhaitable, pour ne pas dire fondamental qu’il y ait de la place pour tout le monde. Et que les premiers n’écrasent pas les seconds.
Et pour ce faire, les lecteurs ont leur mot à dire.
Car même si cela ne saute pas aux yeux au premier abord, eux aussi sont concernés.
En juin 2022, au micro de France Culture, dans
le cadre d’une émission intitulée « Édition : la menace
monopolistique », Sabine WESPIESER, directrice de la maison d’édition du
même nom, s’inquiétait de la fusion ÉDITIS / HACHETTE et s’exprimait en ces
termes :
« Je m’inquiète pour le lecteur car il va se retrouver face à une offre standardisée, car l’industrie fait ce qu’elle sait faire de mieux : cloner. »
Offre standardisée ? Clonage ?
C’est aussi ce que semble affirmer « The Bestseller Code, anatomy of a blockbuster noveL » (en français : « LE CODE DES BEST-SELLERS, ANATOMIE DU ROMAN À SUCCÈS »), un essai paru aux États-Unis en 2016 et qui a fait grand bruit.
Deux auteurs - Jodie Archer, ancienne éditrice
chez Penguin, grand groupe d’édition et Matthew L. Jockers, professeur de
lettres modernes spécialisé dans l’intelligence artificielle - ont disséqué
pendant cinq ans vingt mille romans afin de mettre en lumière les
points communs entre les livres qui se vendent le mieux.
Analyse du succès |
En synthèse, il apparaît que le roman à succès
– le best-seller – coche simultanément plusieurs critères :
☛ Il est porteur d’au moins 3 thèmes prédominants…
☛ …dont l’intimité, la chaleur humaine et l’empathie sont les
plus importants
☛ Il assure un rythme haletant (alternance cadencée de haut et de bas,
d’espoir et de désillusion, etc)
☛ Il utilise un vocabulaire familier accessible à tous
☛ et met en scène des personnages actifs et non
passifs, des personnages qui savent ce qu’ils veulent et l’expriment
ouvertement
Par ailleurs, peu importe la crédibilité
des situations, des personnages et de leurs histoires (seuls les critiques
littéraires, voire les puristes s’offusqueront de certaines invraisemblances)
car ce que le grand public attend avant tout, c’est de l’ÉMOTION.
Dit autrement, si vous êtes auteur et que
votre roman ne répond pas à l’un de ces critères…
Désolé, mais votre ouvrage ne sera jamais un best-seller.
Il convient par ailleurs de
LUTTER
CONTRE L’APPAUVRISSEMENT DE NOTRE
IMAGINAIRE COLLECTIF ET INDIVIDUEL
Imaginez une société où tout le monde
mangerait la même chose, regarderait les mêmes films, écouterait la même
musique et lirait les mêmes livres.
D’accord, nous n’en sommes pas encore tout à fait là. Mais c’est tout de même ce vers quoi nous tendons.
Le Monde est aux mains des grands groupes et ceux-ci exigent de la rentabilité ; or, la rentabilité impose la consommation DE MASSE, qu’il s’agisse d’une galette des rois, d’un film destiné au cinéma grand public ou d’un roman.
Il y a bien plus de profit à vendre le même livre à des millions d’exemplaires, plutôt que mille livres à des centaines d’exemplaires – et voilà comment est né le best-seller, une forme d’industrialisation du succès.
Et de la rentabilité.
Les livres constituent l’une des formes les plus accessibles de l’ouverture sur le monde ; en se focalisant sur la lecture des best-sellers issus de l’édition traditionnelle, comment ne pas croire en un appauvrissement, une forme d’atteinte à la diversité de notre imaginaire collectif et individuel ?
Prioriser la lecture des best-sellers, c’est
un peu comme aller manger toujours le même plat dans le même restaurant ou
partir en vacances chaque année au même endroit, dans la même maison.
Certes, il n’y a rien de mal à cela. Et je
conçois tout à fait que l’on puisse en tirer du plaisir.
Mais l’univers littéraire ne peut pas – ne
doit pas se cantonner aux best-sellers.
Ce serait un appauvrissement, un ralliement à une sorte de norme.
En 2017, un sondage auprès de 4500 lecteurs mené par BABELIO et AMAZON KDP (la plateforme d'autoédition d'AMAZON) a montré qu’à 78 %, ceux-ci considèrent que l’autoédition permet de découvrir de nouveaux talents – de nouveaux auteurs, de nouveaux livres.
L’autoédition contribue à la diversité de la
littérature.
Amazon.fr - 7 raisons de lire un livre autoédité plutôt qu'un best-seller: Valoriser les auteurs indépendants - SCILIEN, Eric - Livres |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire