Pour moi, la meilleure approche reste de faire lire des nouvelles.
Parce que les nouvelles constituent le cœur battant, l'âme de la Littérature. Et cela, on l'oublie trop souvent.
(pour rappel, de quoi est composée la Bible, sinon d'un recueil d'histoires, bien plus proches de "nouvelles" que de "romans" ?...)
Souvenir de ma professeure de français qui, au collège, lisait à l'ensemble de la classe (plutôt indisciplinée et pour le coup, parfaitement silencieuse et attentive) des nouvelles de Ray Bradbury - des "Chroniques martiennes", si je me souviens bien... ce qui n'est pas si décalé, puisque l'on évoque sérieusement la possibilité de s'installer un jour sur Mars.
Alors lire des nouvelles, oui. Mais attention, pas n'importe quelles nouvelles !
Des nouvelles qui percutent, qui touchent au cœur ; des nouvelles qui vous empoignent, dès la première ligne et ne vous lâchent plus, jusqu'au point final. Des nouvelles qui vous apprennent quelque chose et contribuent à vous faire voir la réalité sous un autre angle. Je dirais même, idéalement, des nouvelles à chute.
ATTENTION ! |
Quant à savoir ce qu'est une nouvelle "qui vous empoigne", je crois savoir de quoi je parle, puisque le hasard fait que, justement, j'écris des nouvelles (!)
Et voici un extrait, tiré du recueil paru chez BOOKLESS,
"Trente minutes à vivre" :
J’étais chez moi, tranquille quand tout à
coup, quelqu’un a frappé à la porte.
Non seulement je
n’attendais personne mais ma maison se trouve sur une petite route à la sortie
du bourg, en rase campagne. Aucune chance que l’on vienne frapper à la porte de
chez moi par hasard.
À contrecœur, j’ai
été ouvrir.
Un type massif m’est
apparu. Barbu, une carrure de bucheron. Il a commencé par me toiser d’un regard
inexpressif avant de parler.
- J’habitais ici, avant.
J’avoue n’avoir pas
su quoi répondre.
Il a ajouté :
- Quand j’étais gamin.
- Heu… oui et alors ?
Le barbu m’a dévisagé
comme s’il s’apercevait seulement maintenant de mon existence. Avec le même
regard que si j’avais été une tache sur son pantalon.
- Alors ? C’était la maison de mes parents. Ma maison ! a-t-il lâché avec un
trémolo dans la voix.
J’ai cru discerner
une vague menace mais peut-être n’étais-je simplement pas d’humeur.
- Avec ma femme, nous avons acheté cette maison il y a sept
ans.
D’un coup, il s’est
radouci. Le type obtus et brut de décoffrage a laissé place à une sorte de
gentil nounours.
- Ce serait envisageable que vous me laissiez voir comment
est-ce aménagé à l’intérieur ?
- Écoutez, c’est ma journée de repos et…
- S’il vous plaît ! Mes parents n’ont pas pu payer
leurs traites, ils ont été expulsés. C’est resté comme un traumatisme, vous
comprenez ?
- Je comprends mais…
- Ça me ferait un bien fou, vous n’avez même pas idée !
Vous savez, je viens de loin. Je voulais absolument revoir la maison de mon
enfance.
Bonne pâte, j’ai fini
par accéder à son souhait.
- D’accord mais vite fait. Cinq minutes, pas plus !
- Merci. Vraiment merci !
Le barbu est entré
chez moi de la même façon que s’il pénétrait dans un lieu de pèlerinage. Avec
une sorte de dévotion. Mais très vite, ses airs de ravi de la crèche ont laissé
place à un œil critique.
- L’intérieur n’était pas agencé de cette façon, avant.
- C’est possible. Nous-mêmes n’avons pas changé grand-chose
mais…
- C’était mieux avant ! m’a-t-il asséné en me coupant
la parole et sur un air de reproche.
- Chacun ses goûts, me suis-je contenté de répondre.
- N’empêche, vous devriez…
- Écoutez, je vous ai fait rentrer mais je ne souhaite pas
recevoir de conseil en matière d’aménagement intérieur, d’accord ?
Le barbu a ronchonné
mais s’est tu.
Il n’a plus ouvert la
bouche que pour me pointer une photographie accrochée au mur :
- Et qui est cette personne ?
- C’est Claire, ma femme.
J’ai cru percevoir
une sorte de grognement approbateur.
Quand enfin il est
sorti, j’ai éprouvé un ouf ! de soulagement.
- Une dernière chose : ça ne vous dérange pas que je
laisse mon camping-car garé en face de chez vous ?
Il m’a désigné son
engin, un vieux modèle qui n’était plus de toute première fraicheur. Il l’avait
stationné de l’autre côté de la route, à ras des champs qui s’étendaient à
perte de vue.
Je crois que c’est là
que j’ai commis l’erreur. Une grave erreur que je regretterai toute ma vie.
Parce qu’au lieu de m’affirmer et défendre mes intérêts, genre : « Hors de question de vous avoir sous mes
fenêtres toute la journée. Dégagez de là ou j’appelle la police ! »,
je me suis dit que le bord de la route ne m’appartenait pas.
- Heu… non, j’ai bredouillé.
- D’accord, merci.
- Et… vous comptez rester combien de temps ?
- Je ne sais pas. Je n’ai pas encore décidé.
Extrait de "L'Étranger dans ma maison"
Amazon.fr - Trente minutes à vivre - Scilien, Eric - Livres |
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