Le Messie ou l’homme providentiel (un conte noir inédit)

 Nous attendions l’homme providentiel.

 Le Messie.

 Celui qui guiderait nos pas dans les ténèbres.

 Nous avions cru l’avoir trouvé sous les traits d’un jeune chanteur chevelu. Un chanteur qui grattait mollement les six cordes de sa guitare en murmurant des paroles aussi douces qu’enchanteresses, celles que nous avions justement envie d’entendre.

 En nous étonnant qu’elles n’aient jamais été prononcées plus tôt.

L'homme providentiel

 L’homme providentiel délivrait un message de paix et d’espoir et nous croyions en ce qu’il disait.

 Nous croyions en lui.

 Nous nous félicitions de le voir marcher pieds nus sur les plateaux de télévision. « Car » - disait-il – « il faut maintenir le contact avec la nature. » Et tout le monde l’approuvait, personne ne relevant qu’aucun chemin de terre ne serpentait au milieu des plateaux de télévision.

 À son apogée, nous buvions les paroles du jeune chanteur chevelu. Nous guettions son nouvel album le cœur battant et nous attendions ses chansons – ses textes -, comme une nouvelle version de l’évangile et des textes sacrés.

 Certains allaient jusqu’à relever une certaine ressemblance entre le jeune chanteur chevelu et le Christ. Ce que ne manquaient d’exploiter nombre de magazines people (chaque fois qu’il apparaissait en couverture, les ventes décuplaient).

 Serait-ce lui, le Messie que nous espérions de tous nos vœux ?

 Nous souhaitions qu’il aille plus loin encore que de simples chansons, aussi profondes fussent-elles ; nous souhaitions qu’il nous indique la voie, le chemin à suivre.

 Mais il n’en fut rien. Car très vite vint le temps de la déception.

 Où le chanteur chevelu fit la une de la presse à scandales pour avoir maltraité sa compagne (photos de celle-ci en gros plan, le visage tuméfié).

 Au début, nous refusions.

 Longtemps, nous nous sommes accrochés à l’idée qu’il s’agissait d’une cabale ; d’un dossier à charge, monté de toutes pièces contre l’homme providentiel.

 Mais après supplément d’enquête, il s’est avéré que les journaux disaient la vérité. Sous des aspects éminemment sympathiques et débonnaires, le chanteur chevelu s’avérait n’être qu’un gosse manipulateur, capricieux et imbu de sa personne, un fumeur de joints aux pieds sales (ceci, à force de marcher sans chaussures dans la rue comme sur les plateaux de télévision).

 Bien sûr, nous sommes déçus.

 Mais en souvenir du temps où nous croyions en lui – ce temps béni où il avait fait germer en nous une étincelle d’espoir -, nous ne parvenons pas à lui en vouloir.

 Nous lui gardons une place dans notre cœur.

Contes noirs ou absurdes