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mardi 11 mars 2025

L'Amour de ma vie (et je l'ai laissé partir) - un conte noir

 

Une belle jeune femme et le Diable
L'Amour de ma vie

N'importe quoi, n'importe quand, n'importe où.

Mais pas avec n'importe qui.

Avec toi.


"Tu voulais me dire quelque chose ?"

Je sentais son regard posé sur moi, ses grands yeux sombres et tout à coup - une fois encore - le Monde s'effaçait.

 Il n'y avait plus qu'elle.

"Tu as perdu ta langue ?"

Elle me faisait tellement d'effet que je n'arrivais même plus à parler.

"Non. Enfin, si... je ne sais pas. C'est pas facile à..."

Je bafouillais, lamentablement. Incapable de soutenir son regard.

"Ne me dis pas que tu es amoureux de moi ?"

Elle m’aurait transpercé le cœur d’un coup de poignard que l’effet n’aurait pas été plus dévastateur.

"Si. Un peu..."

"Un peu, seulement ?!"

Elle riait en penchant sa tête sur le côté, sans me lâcher du regard.

"Un peu, beaucoup !"

 Mes joues me brûlaient, je me sentais rougir jusqu'à la racine des cheveux.


 Depuis des semaines, des mois, je ne pensais plus qu'à elle. Je n'étais pas seulement "un peu, beaucoup" amoureux, non. J'étais fou, enfiévré. Je n'en dormais plus la nuit.

J'avais compris, instinctivement, que c'était elle.

Qu'elle était l'Amour de ma vie.

"Un peu, beaucoup, énormément", j'ai ajouté, dans un effort de volonté au-delà de tout ce qu'elle aurait pu imaginer.

"C'est bien ce que je pensais."

Elle a posé sa main sur mon avant-bras, brièvement - le contact de sa peau sur la mienne a manqué me faire chavirer.

"Je suis désolée, mais il va falloir que tu patientes. Au moins quelques années..."

Et elle est partie en me faisant un petit signe de la main.


Je venais tout juste d'avoir douze ans.

Elle en avait trente-cinq.

Mes parents étaient séparés, elle était l'amante de mon père.


Avait été, devrais-je dire. Puisqu'autant que je m'en souvienne, cela n'avait été entre eux qu'une brève passade. Ce qui, paradoxalement, n'avait pas manqué de me désespérer puisque très vite, je ne l'ai plus revue.


D'elle, je n'ai jamais su grand-chose, sinon qu'elle était la présentatrice vedette de la télévision italienne, la Rai.

Je lui ai écrit. Des dizaines de lettres. Que je ne lui ai jamais envoyées.

Et puis un jour, avec désinvolture, mon père m’a appris qu’elle s’était mariée. « Avec un homme d’affaires. Un banquier de Lausanne. »

J’avais tellement voulu croire qu’elle m’attendrait. J'ai cru que je ne m'en remettrais jamais.


Et puis la vie avait repris ses droits.

Et j'avais survécu.


Plus tard, je m'étais marié, j'avais eu des enfants. Et j'avais divorcé, moi aussi. Comme mon père.


J'avais déjà plus de soixante ans quand un jour pluvieux de février, je l'ai croisée, par le plus grand des hasards, dans le hall bondé de l’aéroport d’Orly. Elle n’était plus que le lointain souvenir de la femme invraisemblablement belle qu’elle avait été - mais c’était elle.

Oui, c’était elle. Elle, que je n'avais jamais cessé d'aimer.

Vieillie et sur une chaise roulante, avec un regard de fleur fanée.

 Un homme jeune au regard absent l’emmenait Dieu seul savait où, dans une direction opposée à la mienne.

 Une seconde, nos regards se sont croisés et j’ai vu dans ses yeux que mon visage ne lui était pas inconnu, qu’elle cherchait qui j’étais. Et moi, pauvre imbécile, je n’ai pas su quoi dire, je suis resté là, tétanisé, à la regarder passer.

 J’ai suivi du regard le dos de l’homme jeune au regard absent, il l’emmenait Dieu seul savait où - là où je ne serai pas.

 J’aurais pu courir après elle, l’appeler : « Giuliana ! » « Giuliana Rossi ! »

 J’aurais pu lui dire que je ne l’avais jamais oubliée. J’aurais pu lui dire que la vie est d’une cruauté sans limite - qu’elle ne nous avait pas permis de partager ce que nous pressentions.

 Et que si Dieu voulait, nous nous retrouverions - peut-être -, dans une autre vie.

 J’aurais pu mais je ne l’ai pas fait.

 Ma chance était passée depuis longtemps.

Depuis presque un demi-siècle, l’année de mes douze ans. Depuis que je n’avais pas su lui dire : « Giuliana, je t’aime. Je sais que tu es l'Amour de ma vie. S’il te plaît, attends-moi. »




#L'Amour de ma vie


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