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lundi 12 mai 2025

Se reconnaître dans l'autre (un conte noir inédit)

 

Homme seul au crépuscule, sous la pluie
Une erreur de débutant

— Qu’est-ce qui s’avère le plus proche d’un être humain ? Une pierre ? Un objet d’art ? Un chat ? Une étoile filante ?
 Non.
 Un autre être humain.
 Même si, au premier abord, cette proximité ne coule pas de source.
 Et même si les êtres humains n’ont pas la même couleur de peau, même s’ils ne parlent pas la même langue et ne se ressemblent pas, ni de près ni de loin. Même s’ils pensent différemment. Même si les uns résolvent des équations alors que les autres jouent au ballon ou collectionnent les petites voitures et même si leurs espoirs, leurs croyances et leurs désirs partent dans des directions diamétralement opposées, rien n’est plus proche d’un être humain qu’un autre être humain.
 C’est ainsi.
 Nous sommes tous issus de la même branche. Que nous le voulions ou non, nous appartenons à la même famille.
 Quel sens donner à l’existence si nous ne nous reconnaissons pas dans l’autre, celui qui nous précède comme celui qui nous succède ?
 Vivre ensemble.
 Partager. 
Éprouver le sentiment de faire partie d’un tout.
 Non, ce ne sont pas que des mots. C’est aussi une manière de voir.
 De rester vivant.
 Une manière de prendre le parti de la vie.
 De remplir son rôle en passant le témoin.
 Une manière de voir et une défense. Parce que se considérer comme seul, extérieur aux autres et comme étant un monde en soi, c’est à partir du médian de la vie, se voir décliner lentement.
 Irrémédiablement.
 Et sombrer dans la désespérance.
 Se fondre dans l’humain, ce n’est pas se perdre ni se noyer dans la masse, non.
 C’est trouver sa place.

 Je l’avais écouté religieusement, sans l’interrompre.
 En étant bien conscient de la chance que j’avais, une interview exclusive du plus grand philosophe de notre époque - et c’était moi qui la faisais !
 Mais cette question que j’avais au bord des lèvres, je n’y tenais plus. Il fallait bien que je finisse par lui poser !

— J’ai bien compris, mais pourquoi alors vivez-vous seul, cloîtré et à l’écart du monde ? Il me semble que vous citez des valeurs inverses de la vie que vous menez, je me trompe ?
 À ma grande stupéfaction, je vis soudain le grand philosophe changer de couleur ; c’est tout juste s’il ne me hurla pas dessus :

— MAIS PARCE QUE JE N’ARRIVE PAS ! Tout simplement.

 Ce n’est pas parce que j’ai une idée précise d’un idéal que je suis censé y parvenir.

 Et la vérité, vous voulez que je vous la dise ?! La vérité, c’est que la plupart des gens me font chier ! La voilà, la vérité ! Et vous aussi, d’ailleurs ! Alors maintenant, DÉGAGEZ !


 Trente secondes plus tard, je me suis retrouvé dehors, sous la pluie.
 
 Je venais de commettre une erreur de débutant : entre la théorie et la pratique, il y a toujours un monde d’écart.


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