samedi 11 janvier 2025

COUP DE FOUDRE (un conte noir et inédit)

Un cupidon miniature
Attention à la flèche !


 Le coup de foudre - le vrai -, celui qui en un instant, vous retourne de fond en comble des orteils à la racine des cheveux, celui qui vous fait battre le cœur contre toute raison en vous laissant exsangue, sans plus de ressource qu’un fondant au chocolat abandonné en plein soleil sur le carrelage, je l’ai éprouvé une fois.

 Une seule fois.

 

 Je n’étais pourtant déjà plus un jeune premier, j’allais sur mes trente-cinq ans.

 

 Et c’est peu dire qu’il s’est produit au moment où je m’y attendais le moins puisque j’étais mourant, allongé sur un lit dans une chambre d’hôpital, dans un état quasi désespéré.

 

 Ce moment, c’est celui où une doctoresse que je n’avais encore jamais vue m’a annoncé que j’allais entrer en soins palliatifs.

 En clair, que je n’avais plus rien à espérer.

 Que j’étais foutu.

 

 Les médecins ignoraient quel mal me rongeait ; simplement, je m’éteignais à petit feu, telle la flamme d’une bougie en manque d’oxygène.

 

 À la seconde où j’ai vu cette doctoresse, quelque chose en elle m’a littéralement submergé.

 Je ne sais pas ce qui m’a pris. Il m’a fallu fournir un effort colossal mais j’ai réussi à me redresser sur un coude ; sans que je ne me sois rien formulé, les mots sont sortis tous seuls de ma bouche - je ne contrôlais rien -, j’ai dit :

- Vous savez ce qui va se passer ? Je vais me battre et je vais sortir d’ici. Ensuite, je vous épouserai !

 Elle avait piqué un fard. Ce qui m’avait ému aux larmes.

- Mais je suis déjà mariée !

- Je suis désolé pour votre mari, j’ai répondu.

 C’était vrai. Je ne voulais faire de mal à personne.

 

 Les jours suivants, mon état s’est sensiblement amélioré. Les médecins ne comprenaient pas, ils en perdaient leur latin.

- C’est grâce à vous ! ai-je murmuré à ma doctoresse.

- Je ne crois pas, non. Je n’ai strictement rien fait !

- Mais si. Vous êtes là.

 Je n’ai pas insisté pour éviter de l’effrayer. Mais moi, je savais bien que c’était grâce à elle. À l’effet qu’elle avait produit sur moi.

 

 Quinze jours plus tard, je suis sorti de l’hôpital. Encore un peu flageolant sur mes jambes. Mais clairement en voie de guérison.

 

 Une fois complétement rétabli, je suis revenue voir ma doctoresse. Avec un énorme bouquet de fleurs. Et une invitation à dîner dans le meilleur restaurant de la ville.

 Une fois encore, elle s’est empourprée.

- Merci pour les fleurs mais je ne peux pas accepter. Je crois que mon mari verrait d’un mauvais œil votre invitation à dîner !

 Je me suis incliné.

- Très bien. Je serai patient.

 Elle est sortie de la pièce en me regardant comme si j’étais fou.

 

 J’ai tenu parole. J’ai été patient.

 

 Patient pendant des mois. Des années.

 

 J’étais écrivain, j’ai mis ma carrière ente parenthèses et me suis expressément formé pour réussir à être embauché à l’hôpital où elle travaillait, au sein du service administratif.

 J’avais gagné le privilège de côtoyer ma doctoresse au quotidien.

 

 La première fois qu’elle m’a vu en compagnie d’autres membres du personnel, elle n’a pas cherché à masquer sa surprise.

- Vous ?! Mais qu’est-ce que faites là ?

- J’ai été embauché. Je suis votre collègue, à présent.

- Je croyais que vous étiez écrivain ?!

- J’ai toujours rêvé d’être employé au sein d’une administration qui œuvre pour le bien commun.

 Je ne lui ai évidemment pas avoué que si j’étais là, c’était pour elle. Et uniquement pour elle.

 

 Pour le simple plaisir d’échanger un sourire, parfois à peine quelques mots en se croisant, je m’efforçais de calquer mes pauses sur les siennes, de déjeuner sur ses créneaux horaires les plus fréquents.

 Quand il nous arrivait de prendre un café ensemble au distributeur, ces quelques minutes passées en sa compagnie m’inondaient de bonheur pour le reste de la journée.

 

 La nuit, seul chez moi, je me languissais d’elle, de sa présence. Pour ne pas hurler, je me suis déjà vu mordre dans mon oreiller tant elle me manquait.

 

 Je la courtisais aussi discrètement que possible – et en toute bienséance.

 

 Un jour pourtant, son mari est venu frapper à ma porte. Un petit sec au nez aquilin, aussi nerveux que l’air mauvais. Des gens se disant « bien intentionnés » lui avait parlé, m’a-t-il dit.

 Il m’a sommé de mettre fin à ce qu’il appelait « cette mascarade ridicule ». Évidemment, je n’ai rien voulu entendre.

 Je lui ai répondu que j’étais désolé mais que j’étais amoureux fou de son épouse. Et qu’un jour ou l’autre, elle finirait bien par comprendre que le Destin voulait que nous soyons ensemble. C’était écrit.

 Lui n’a pas voulu se rendre à l’évidence.

 Aux menaces ont succédé les invectives. Puis les coups – j’étais costaud et large d’épaules, j’aurais pu le casser en deux, si j’avais voulu. Mais je pressentais que cela aurait été contre-productif.

 Alors par amour, j’ai encaissé.

 

 Dès le lendemain, ma doctoresse est venue s’excuser. Devant mon visage tuméfié, elle a porté la main à sa bouche. C’est moi qui l’ai rassurée :

- Ce n’est rien. C’est le prix à payer.

- Le prix à payer pour quoi ?

- Pour être heureux un jour.

 « Avec vous » aurais-je voulu ajouter. Mais elle n’était pas prête à l’entendre.

 Elle est partie sans vouloir comprendre.

 

 Je n’ai jamais su quel fut l’élément déclencheur mais un soir, ma doctoresse m’attendait sur le seuil de ma porte. Son maquillage avait coulé, elle avait manifestement pleuré.

- Mon mari m’a quittée. Vous êtes content ?!

 Sans me laisser le temps d’ouvrir la bouche, elle m’a giflé – une baffe monumentale, comme jamais je n’en avais reçue de toute mon existence. J’en ai été sonné, le souffle coupé et la joue brûlante.

 Puis elle s’est jetée sur moi et m’a embrassé à pleine bouche.

 

 Nous nous sommes aimés toute la nuit, une nuit merveilleuse, quasi-divine.

 

 Tout semblait se dérouler comme dans un véritable conte de fées ; pourtant, les événements ne se sont pas enchaînés de la façon dont je l’escomptais.

 Après avoir vécu ensemble une huitaine de jours, il nous est apparu évident que nous n’étions pas faits l’un pour l’autre.

 

 La magie s’était brutalement retirée de nos cœurs. Nous n’avons pas eu d’autre choix que de mettre fin à notre relation.

 

 Depuis, quand je songe à cette période aujourd’hui révolue, j’en suis encore à me demander si j’ai connu le Paradis ou l’Enfer.

 Je crois que je ne saurai jamais.

 

 C’est la marque du coup de foudre.

 

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