Attention à la flèche ! |
Le coup de foudre - le vrai -, celui qui en un instant, vous retourne de fond en comble des orteils à la racine des cheveux, celui qui vous fait battre le cœur contre toute raison en vous laissant exsangue, sans plus de ressource qu’un fondant au chocolat abandonné en plein soleil sur le carrelage, je l’ai éprouvé une fois.
Une seule fois.
Je n’étais
pourtant déjà plus un jeune premier, j’allais sur mes trente-cinq ans.
Et c’est peu dire
qu’il s’est produit au moment où je m’y attendais le moins puisque j’étais
mourant, allongé sur un lit dans une chambre d’hôpital, dans un état quasi
désespéré.
Ce moment, c’est
celui où une doctoresse que je n’avais encore jamais vue m’a annoncé que
j’allais entrer en soins palliatifs.
En clair, que je
n’avais plus rien à espérer.
Que j’étais foutu.
Les médecins
ignoraient quel mal me rongeait ; simplement, je m’éteignais à petit feu, telle
la flamme d’une bougie en manque d’oxygène.
À la seconde où
j’ai vu cette doctoresse, quelque chose en elle m’a littéralement submergé.
Je ne sais pas ce
qui m’a pris. Il m’a fallu fournir un effort colossal mais j’ai réussi à me
redresser sur un coude ; sans que je ne me sois rien formulé, les mots
sont sortis tous seuls de ma bouche - je ne contrôlais rien -, j’ai dit :
- Vous savez ce qui va se passer ? Je vais me battre
et je vais sortir d’ici. Ensuite, je vous épouserai !
Elle avait piqué
un fard. Ce qui m’avait ému aux larmes.
- Mais je suis déjà mariée !
- Je suis désolé pour votre mari, j’ai répondu.
C’était vrai. Je
ne voulais faire de mal à personne.
Les jours
suivants, mon état s’est sensiblement amélioré. Les médecins ne comprenaient
pas, ils en perdaient leur latin.
- C’est grâce à vous ! ai-je murmuré à ma
doctoresse.
- Je ne crois pas, non. Je n’ai strictement rien
fait !
- Mais si. Vous êtes là.
Je n’ai pas
insisté pour éviter de l’effrayer. Mais moi, je savais bien que c’était grâce à
elle. À l’effet qu’elle avait produit sur moi.
Quinze jours plus
tard, je suis sorti de l’hôpital. Encore un peu flageolant sur mes jambes. Mais
clairement en voie de guérison.
Une fois
complétement rétabli, je suis revenue voir ma doctoresse. Avec un énorme
bouquet de fleurs. Et une invitation à dîner dans le meilleur restaurant de la
ville.
Une fois encore,
elle s’est empourprée.
- Merci pour les fleurs mais je ne peux pas accepter. Je
crois que mon mari verrait d’un mauvais œil votre invitation à dîner !
Je me suis
incliné.
- Très bien. Je serai patient.
Elle est sortie de
la pièce en me regardant comme si j’étais fou.
J’ai tenu parole.
J’ai été patient.
Patient pendant
des mois. Des années.
J’étais écrivain,
j’ai mis ma carrière ente parenthèses et me suis expressément formé pour
réussir à être embauché à l’hôpital où elle travaillait, au sein du service
administratif.
J’avais gagné le
privilège de côtoyer ma doctoresse au quotidien.
La première fois
qu’elle m’a vu en compagnie d’autres membres du personnel, elle n’a pas cherché
à masquer sa surprise.
- Vous ?! Mais qu’est-ce que faites là ?
- J’ai été embauché. Je suis votre collègue, à présent.
- Je croyais que vous étiez écrivain ?!
- J’ai toujours rêvé d’être employé au sein d’une administration
qui œuvre pour le bien commun.
Je ne lui ai
évidemment pas avoué que si j’étais là, c’était pour elle. Et uniquement pour
elle.
Pour le simple
plaisir d’échanger un sourire, parfois à peine quelques mots en se croisant, je
m’efforçais de calquer mes pauses sur les siennes, de déjeuner sur ses créneaux
horaires les plus fréquents.
Quand il nous
arrivait de prendre un café ensemble au distributeur, ces quelques minutes passées
en sa compagnie m’inondaient de bonheur pour le reste de la journée.
La nuit, seul chez
moi, je me languissais d’elle, de sa présence. Pour ne pas hurler, je me suis
déjà vu mordre dans mon oreiller tant elle me manquait.
Je la courtisais
aussi discrètement que possible – et en toute bienséance.
Un jour pourtant,
son mari est venu frapper à ma porte. Un petit sec au nez aquilin, aussi nerveux
que l’air mauvais. Des gens se disant « bien intentionnés » lui
avait parlé, m’a-t-il dit.
Il m’a sommé de
mettre fin à ce qu’il appelait « cette mascarade ridicule ».
Évidemment, je n’ai rien voulu entendre.
Je lui ai répondu
que j’étais désolé mais que j’étais amoureux fou de son épouse. Et qu’un jour
ou l’autre, elle finirait bien par comprendre que le Destin voulait que nous
soyons ensemble. C’était écrit.
Lui n’a pas voulu
se rendre à l’évidence.
Aux menaces ont
succédé les invectives. Puis les coups – j’étais costaud et large d’épaules, j’aurais
pu le casser en deux, si j’avais voulu. Mais je pressentais que cela aurait été
contre-productif.
Alors par amour,
j’ai encaissé.
Dès le lendemain,
ma doctoresse est venue s’excuser. Devant mon visage tuméfié, elle a porté la
main à sa bouche. C’est moi qui l’ai rassurée :
- Ce n’est rien. C’est le prix à payer.
- Le prix à payer pour quoi ?
- Pour être heureux un jour.
« Avec
vous » aurais-je voulu ajouter. Mais elle n’était pas prête à
l’entendre.
Elle est partie
sans vouloir comprendre.
Je n’ai jamais su
quel fut l’élément déclencheur mais un soir, ma doctoresse m’attendait sur le
seuil de ma porte. Son maquillage avait coulé, elle avait manifestement pleuré.
- Mon mari m’a quittée. Vous êtes content ?!
Sans me laisser le
temps d’ouvrir la bouche, elle m’a giflé – une baffe monumentale, comme jamais
je n’en avais reçue de toute mon existence. J’en ai été sonné, le souffle coupé
et la joue brûlante.
Puis elle s’est
jetée sur moi et m’a embrassé à pleine bouche.
Nous nous sommes
aimés toute la nuit, une nuit merveilleuse, quasi-divine.
Tout semblait se
dérouler comme dans un véritable conte de fées ; pourtant, les événements
ne se sont pas enchaînés de la façon dont je l’escomptais.
Après avoir vécu
ensemble une huitaine de jours, il nous est apparu évident que nous n’étions
pas faits l’un pour l’autre.
La magie s’était
brutalement retirée de nos cœurs. Nous n’avons pas eu d’autre choix que de mettre
fin à notre relation.
Depuis, quand je
songe à cette période aujourd’hui révolue, j’en suis encore à me demander si
j’ai connu le Paradis ou l’Enfer.
Je crois que je ne
saurai jamais.
C’est la marque du
coup de foudre.
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