jeudi 9 janvier 2025

L’Épreuve initiatique (un conte noir inédit)

  J'avais accepté leur rituel - accepté qu’ils me bandent les yeux et ils m'avaient amené là, dans cet endroit à l'odeur de bunker désaffecté.

 Ils m’avaient fait asseoir sur une chaise.


 Une voix grinçante d'adolescent, celle de leur chef, m’avait hurlé dessus :

- POURQUOI TU VEUX FAIRE PARTIE DE NOTRE GROUPE ?! RÉPONDS SANS RÉFLÉCHIR, VITE !

 Je sentais les autres, leur présence en arrière-plan.

- Pour être ami avec vous.

- POUR CETTE RAISON, UNIQUEMENT ?

- Oui.

- TU MENS !

- Non, c’est vrai.

- Et moi, je dis que TU ES AMOUREUX D’UNE FILLE DE NOTRE GROUPE !

 J’avais gardé le silence.

 C’était une erreur - la voix sut immédiatement qu'elle avait visé juste.

- Alors maintenant, TU VAS NOUS DIRE DE QUI ?!

 Long silence.

 Dire la vérité équivalait à me mettre nu devant tout le monde.

- Attends, je crois que tu n’as pas bien compris ! Si tu ne le dis pas, tu ne pourras jamais faire partie de notre groupe. Parce qu'entre nous, on se dit tout. Comment on pourrait te faire confiance, si tu nous dis pas de quelle fille tu es amoureux ?!

 J'étais piégé.

 Dos au mur.

 Je crois que sans m’en rendre compte, j’ai baissé la tête.

- De Maria, j'ai murmuré.

 J’ai perçu remous et chuchotements, là tout près, quelque part dans le noir.

 Toutes mes pensées allaient à Maria, Maria que je savais toute proche dans la pénombre.

 Qu’allait-elle penser de moi ? Je n'avais jamais osé lui adresser la parole et pourtant, j'étais fou d'elle, de ses yeux noirs.

 Depuis la première seconde où je l’avais vue.

 Depuis toujours.

- D’accord ! Si tu veux intégrer notre groupe, tu vas devoir surmonter une épreuve.

- Une épreuve ? j'ai répété bêtement.

- Tu sais nager ?

- Oui.

- Tu es bon nageur ?

- Heu... oui, je me suis entendu répondre, en ne pensant qu’à Maria.

 Pour elle, j’aurais dit oui à tout. En réalité, je savais à peine nager la brasse.

- On va voir ça. ALLEZ, TOUT LE MONDE DEHORS ! a crié le chef.

 

 Dehors, la nuit.

 Le vent.

 Celui du large qui venait de la mer, toute proche.


 J’ai demandé si je pouvais enlever mon bandeau.

 Le chef a répondu non.

 Quelqu’un a pris mon bras sans ménagement – le chef, peut-être - et m’a guidé jusqu’au bord de la falaise.

- ENLÈVE TON BANDEAU !

 Le vent soufflait si fort qu'il fallait presque faire effort pour tenir debout.

- SI TU VEUX FAIRE PARTIE DE NOTRE GROUPE, TU DOIS SAUTER D’ICI ! a hurlé le chef.

 Il l’a répété deux fois, pour être sûr que tout le monde entende. Le vent soufflait si fort !

 Je n’osais pas chercher Maria des yeux. Je devais d’abord lui prouver que j’étais capable, que je méritais de faire partie de leur groupe. Je me suis approché du bord.

 En contrebas, peut-être à vingt mètres, les vagues se fracassaient contre les rochers en soulevant des gerbes d’écume.

 J’ai perçu des cris, des protestations. Quelqu’un a dit « Non, il va se tuer ! » Une voix de fille. Était-ce Maria ?

- TU VAS SAUTER EN POUSSANT SUR TES JAMBES, POUR NE PAS PLONGER À RAS DE LA FALAISE, LÀ OÙ SONT LES ROCHERS !

 J'ai préféré ne pas tergiverser, j'aurais peut-être fini par renoncer.

 J'ai couru comme un fou, avec toute la force de mes quinze ans et dans le vent et la nuit, j’ai sauté dans le vide en criant « MARIA, JE T’AIME ! » mais le vent soufflait si fort, je savais qu’elle ne m’entendrait pas.


Au bord d'une falaise, de nuit
Dans le vent et la nuit, j’ai sauté dans le vide...

#Parcours initiatique #Chemin initiatique

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire