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jeudi 27 mars 2025

ÇA IRA, NE T’EN FAIS PAS (un conte noir et inédit)

 

Jeune homme répond au téléphone
Ça ira, ne t'en fais pas

 Sitôt que Bruno ouvrit les yeux, il fut ébloui par la lumière – qui s’amusait à lui projeter une lampe torche en plein dans les yeux ?!

- Mais arrêtez, quoi !

 Il lui fallut plusieurs secondes avant de comprendre qu’il s’agissait seulement de la lumière du jour. À travers les carreaux des fenêtres, le soleil de midi emplissait la chambre d’une chaleur poussiéreuse.

 Après la lumière, le second élément dont Bruno prit conscience, ce fut son cœur - les battements de son cœur. Qui s’activait non seulement dans sa poitrine, mais aussi à l’intérieur de son crâne. Dont la partie arrière palpitait douloureusement.

 Et Bruno ressentit la soif, une intense sensation de soif.

 Boire un verre d’eau lui apparut soudain un acte essentiel, quasiment vital - mais à l’instant où il redressa son buste en position verticale, les murs de sa chambre tanguèrent en suivant le même mouvement.

 Qu’est-ce qui m’arrive ?

 C’était l’anarchie dans sa tête. Lentement, des fragments de mémoire remontèrent à la surface de sa conscience.

 Il se souvint avoir eu une semaine particulièrement rude. Tous les jours à tirer les sonnettes pour vendre de l’assurance-vie, autant dire à se faire claquer la porte au nez. Et quand on le faisait entrer, la partie était loin d’être gagnée. Une fois, il était resté toute une après-midi chez un couple de retraités, une après-midi à étaler sa documentation, expliquer, argumenter et reformuler pour finalement s’entendre dire que « Finalement non, ça ne nous intéresse pas. »

 Mais le pire était ailleurs.

 Le pire, c’était le débriefing du soir.

 Une heure et demie à se faire aboyer dessus parce qu’il n’avait pas fait ses chiffres. Le seul mérite de son chef, c’était la franchise : « Les gars, si vous ne faites pas vos quotas, je vais tellement vous pourrir que je vous le garantis, vous aurez la gnaque pour ne jamais revivre ces moments-là ! »

 Voilà.

 On était dimanche et il était deux heures de l’après-midi. Dès le lendemain matin – autant dire dans quelques heures –, il lui faudrait remettre son costume, sa cravate et ses chaussures neuves (celles qui lui faisaient mal aux pieds) et retourner frapper aux portes, faire le guignol à débiter un discours abscond, qu’il avait lui-même du mal à croire.

 C’est sûr, s’il avait su il se serait débrouillé autrement. Il aurait décroché un diplôme et aurait trouvé du travail avec un bureau et une secrétaire qui lui aurait servi le café avec le sourire - voire une vue plongeante sur son décolleté.

 Mais à présent qu’il avait ce job, il n’était plus question de se défiler, il avait un loyer à payer.

 Ce n’était pas une vie, ça !

 Et pourtant si.

 C’était la sienne.

 La veille - samedi soir -, il avait éprouvé le besoin, la nécessité viscérale de décompresser. Autant dire, de picoler. Et beaucoup, beaucoup plus que de raison. Résultat, il s’était pris une cuite monumentale. Du genre de celle qu’on prend une seule fois dans sa vie, tellement on en bave au réveil.

 Bruno reconstitua avec difficulté les fragments de sa soirée. Il s’était couché ivre mort tout habillé, sans même enlever ses chaussures. Une sensation de mouillé à l’entrejambes lui fit comprendre qu’il s’était pissé dessus. Et ce n’était pas tout - ses draps étaient souillés. Il avait rendu tripes et boyaux, malade à crever.

 Bruno se leva dans un effort de volonté, dans un état de mal-être et de faiblesse comme il ne se souvenait pas en avoir jamais connu.

 Rapidement, la station debout lui fut pénible et après quelques gorgées d’eau froide au robinet, il retourna s’allonger, le corps parcouru de frissons glacés.

 Il se demandait s’il n’allait pas tomber en syncope tellement il se sentait mal, quand le téléphone sonna.

 Au prix d’un effort surhumain, Bruno tendit le bras vers son téléphone portable.

- Allo ? Maman ? Oui, c’est moi… non, enfin… ce n’est pas que tu me déranges mais, heu… je faisais la sieste, là. Comment se passe mon nouveau travail ? Très bien. Je suis juste un peu crevé mais ça ira. Ne t’en fais pas.


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