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samedi 15 mars 2025

L’EX DONT IL NE SE SOUVENAIT PAS (un conte noir et inédit)

 

Femme punk de cinquante ans dans un bar
PUNK

 Marc était installé à la terrasse d’un kebab de quartier. En fait de terrasse, il s’agissait juste de trois minuscules tables rondes en fer, des meubles de récup’ sans valeur posées sur le trottoir.
 Il s’alluma une énième cigarette.

 Ça n’allait pas fort.

 Soudain, un numéro inconnu s’afficha sur l’écran de son portable en mode vibreur.
 Il ne répondait plus depuis longtemps à ce genre d’appel mais cette fois, sans trop savoir pourquoi – sans doute parce qu’il n’avait rien de mieux à faire -, il répondit.
- Ouais ?
- Salut, Marc. C’est moi, minauda une voix hésitante. Tu me reconnais ?
 Une voix de femme, un peu éraillée.
- Non. Pourquoi, je devrais ?
- Bah, oui. On était ensemble, avant.
- Avant ? Avant quoi ?!
- Avant, je veux dire que ça fait un moment. Un certain nombre d’années.
 Il se demanda s’il ne s’agissait pas d’un canular.
- Bon écoutez, je ne sais pas qui vous êtes et…
 Il faillit ajouter « et je m’en fous ! » mais préféra attendre un peu. Réflexe de base : ne jamais abattre ses cartes avant de pouvoir jauger ce que l’autre a en main.
 On ne sait jamais.
- C’est Janice ! fit la voix, comme à regret d’avoir montré son jeu. J’aurais préféré que tu me reconnaisses.
- Janice ? Désolé, ça ne me dit rien.
 Il y eut un silence.
- Il y a pourtant eu un temps où tu ne voyais que par mon cul !
- Pardon ?
- N’essaie pas de me faire croire que tu ne te souviens pas, je ne te croirai pas !
 En flash, les floues images d’un passé lointain – où il lui arrivait régulièrement d’être dans des états seconds - lui revinrent en mémoire.
 Janice – oui !
 Une fille paumée, sorte de punkette en déshérence ; une grande brune avec des mèches rouges et une mâchoire chevaline. Pas moche mais trop teigneuse à son goût.
 Autant qu’il s’en souvienne, ils n’avaient jamais été ensemble.
 D’accord, ils avaient peut-être tiré deux ou trois coups à la va-vite, au fin fond de nuits de défonce dont les détails s’étaient effacés pour toujours dans les brumes de substances interdites - mais ça s’était arrêté là.
 Marc l’avait clairement identifiée comme une fille à emmerdes, accroc à tout ce qui pouvait la faire planer à quelques milliers de kilomètres au-dessus du sol.
- Ça y est, oui. Je me souviens, maintenant. Mais ça fait un paquet d’années ! Comment est-ce que tu as eu mon numéro ?
- C’est Bruno qui me l’a refilé.
- Bruno ? Je ne connais pas de Bruno.
- Mais on s’en fout de qui m’a donné ton numéro ! Mon cul, tu t’en souviens, non ? Alors tu as envie de me revoir ou pas ?!
- Attends, Janice. Je suis plus celui que tu as connu. Je ne mène plus la même vie. Je suis marié et j’ai trois enfants.
 Il faillit ajouter « une maison et un chien » mais jugea que cela aurait été ridicule et hors de propos.
- Allez, quoi ! On pourrait au moins boire un verre ensemble, en souvenir des bons moments ?
- Franchement, je ne crois pas que ce soit une bonne idée.
- Mais mon cul, tu ne voudrais pas le revoir une dernière fois ?

 Il s’était laissé fléchir.

 Lui avait donné rendez-vous dans un bar, à deux pas du centre-ville.
 Il avait fait en sorte d’arriver une heure à l’avance. De loin, il l’avait vue se garer avec son Van d’un autre âge.
 Puis il avait attendu un moment avant de la retrouver à l’intérieur du café.
 Elle était exactement comme il se l’était imaginé : bien abîmée malgré le maquillage prononcé.
 Certes, on voyait encore qu’elle avait été une jolie fille mais elle ne ferait plus illusion très longtemps ; la défonce et la vie de bohème font vieillir en accéléré – le prix à payer d’une liberté sans limite ni tabou.

- Merci d’être venu, elle avait dit.
 Il avait commandé deux bières.
 Et puis il l’avait écoutée.
 Elle voulait absolument récupérer sa fille. Sa fille qui avait été placée dans une famille d’accueil, quelque part en Normandie. Elle s’appelait Marie, elle avait sept ans et ça faisait déjà trois ans que Janice ne l’avait pas vue.
 C’était pour cette raison qu’elle voulait le voir.
 Elle avait besoin de fric.
- Et toi, tu peux m’aider ? Je te serais reconnaissante, tu sais ?
 Il avait commandé deux autres bières avant de répondre « Faut voir » du bout des lèvres.
- Il faut que tu m’en dises un peu plus…

 Elle s’était montrée intarissable.

 Après la troisième bière, quand Janice s’était levée pour aller aux toilettes, il avait attendu qu’elle disparaisse derrière la porte des WC, là-bas au fond du bar.
 Puis il s’était levé et avait fouillé dans le sac minuscule qu’elle avait laissé pendre au dos de sa chaise ; il y avait rapidement trouvé ce qu’il cherchait : les clefs du van.

 Marc était sorti du bar sans perdre une seconde – elle se débrouillerait pour payer les bières.

 L’histoire de sa gamine placée dans une famille d’accueil, c’était du flan, à tous les coups - une histoire à l’eau de rose, censée lui mettre la larme à l’œil afin de lui faire plus facilement cracher son fric.

 Marc, lui n’avait pas menti. Il était bien marié, avait trois enfants. Mais il était séparé depuis des lustres et ne voyait plus ses gosses – la faute à son addiction aux jeux qui l’avait mis sur la paille.

 Il ouvrit la porte du van et monta à l’intérieur. Ça sentait le patchouli et la fumée de cigarette, il démarra sans attendre.

 Il n’en tirerait sans doute que quelques billets, mais ce serait toujours ça - il avait bien l’intention de se refaire au Casino, le soir même.

#EX


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